image/svg+xml Group Group Created with Sketch.

Le mouvement Extinction Rebellion est aussi divers et riche que les rebelles qui y participent. Cet est espace « Parole de rebelles » est ouvert à toutes les contributions personnelles ponctuelles. Les avis exprimés ici par les rebelles sont personnels et n'engagent que leurs auteur·e·s et pas le mouvement Extinction Rebellion dans son ensemble (France et International).

Vendredi 24 mai, 600 militant.es de plus de soixante organisations écologiques et sociales convergeaient vers le siège d’Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen en volume et premier actionnaire de TotalEnergies, dont l’Assemblée Générale se tenait le même jour que celle de la multinationale coloniale française.

Crédits : Regard Brut

Alors qu’aux étages se prenaient, autour d’un verre de champagne, des décisions d’une importance certainement considérable - poursuivre tout ce qui génère du profit -, une occupation s’installait devant le bâtiment et une partie des activistes en pénétraient le hall, outrepassant sans violence les forces de sécurité. Cette action, à l’appel d’Extinction Rebellion mais construite en lien avec de multiples organisations, devait garantir un espace aux risques juridiques plus faibles ; l’occupation extérieure. Pour de multiples raisons, et à regret, l’action s’est retrouvée à être centrée autour de sa partie la plus désobéissante, la police rassemblant indistinctement dans une même nasse toutes les personnes présentes : militant.es de tous bords, salarié.es d’ONGs, représentant.es de luttes autochtones, scientifiques… dont parfois même de simples observateur.ices placé.es à plusieurs centaines de mètres et ramené.es sous contrainte dans le lot par les agents décérébrés de la BRAV-M.

Crédits : Léo Bodelle

La police était attendue. Une solution de moindre conflictualité avait donc été choisie en évitant l’imposant dispositif policier déployé à La Défense, où se tenait l’AG des 100 ans de Total. Mais l’arbitraire d’une répression indiscriminée et en dehors de toute légalité, n’était lui pas anticipé : 201 interpellations, toutes sans suite malgré les tentatives de charger sans preuve des militant.es arrêté.es aléatoirement avec de graves chefs d’accusation (dégradations lourdes, violences), accompagnées d’une multiplication d’atteintes significatives aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes.

Crédits : Regard Brut

La répression de cette mobilisation du 24 mai 2024 puis celle de la manifestation Greendock le lendemain nous ont à nouveau démontré tout ce que la police a accumulé de pratiques d’impunité depuis de longues années.

L’irrespect de la dignité humaine

Droits fondamentaux, besoins primaires, intégrité physique et psychologique des personnes ont été ouvertement violés par l’appareil d’Etat. Au nom de la seule défense du capital, des actes dégradants et humiliants ont été perpétrés envers toustes nos camarades par une police hors-la-loi. La liste des illégalités commises est longue et documentée, plusieurs recours sont et vont être faits.

Crédits : Les photos de Poppy

L’illégalité évidente d’une nasse de 9 heures, pratique déjà condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, a été augmentée d’autres actes tout aussi violents perpétrés en son sein : refus d’accès à des sanitaires, arrestations aléatoires, prises au visage, coups, étranglements, militant.es trainé.es au sol. Assis.es dans une grande promiscuité, forcé.es d’uriner derrière une bâche aux pieds de la police, privé.es arbitrairement de notre liberté par la milice du capital, tout cela générant un grand niveau de stress pour de nombreuses personnes, nous avons vu nos camarades être violemment et aléatoirement arraché.es de la nasse. La défenseure des droits a été saisie par l’ONG Bloom.

Crédits : @broth_earth @engrainage.media
Crédits : Léo Bodelle

Nous avons pu assister à cette occasion à un superbe phénomène : une collaboration parfaite entre vigiles et police, les uns pointant du doigt les militant.es qu’ils pensaient reconnaître, qu’ils voulaient voir arrêté.es, les autres venant nous cueillir un.es à un.es. Cette collaboration a été poussée jusque dans les commissariats, où Amundi s’est faite la complice de l’appareil policier. Nous tenons donc à dire un mot à ce sujet. Vigiles, nous savions que nous entrions sur un lieu de travail, nous savions que la nature de votre emploi vous demanderait malheureusement d’agir, et nous nous en excusons sincèrement. Nous sommes tout sauf en guerre contre vous, et absolument navré.es que le capital vous ait placé entre lui et nous. Car c’est bien contre le capital colonialiste et écocidaire que nous agissons, celui-là même qui détruit les conditions de vie de millions de travailleur.euses à travers le monde. Pendant que vous tentiez de contenir la foule et que vous vous trempiez de l’eau de votre propre lance à incendie, à l’étage les actionnaires se félicitaient d’un milliard de bénéfices et buvaient du champagne.

Revenons à une situation particulière qui demande à être mise en lumière. Parmi les interpellé.es, 50 camarades ont été chargé.es dans un bus dans lequel iels se sont trouvé.es immobilisé.es durant huit heures dans les conditions les plus dégradantes : aucune possibilité de s’alimenter ni de s’hydrater, refus d’accès à des sanitaires impliquant d’uriner à l’intérieur même du véhicule, aération extrêmement limitée, humiliations répétées, refus systématique de notifier les militant.es de l’état de leur situation. Plusieurs malaises ont été rapportés et plusieurs personnes se sont trouvé.es dans un état de grande détresse psychologique, devant l’inhumaine indifférence des policiers.

Crédits : Regard Brut

Cette violence s’est poursuivie au sein des commissariats où les droits des manifestant.es ont été régulièrement violés : refus illégal de l’assistance d’un.e avocat.e, d’un médecin ou de l’appel à un.e proche malgré les demandes, cellules surchargées, insultes racistes et validistes, et au moins un cas rapporté de violences sexistes et sexuelles. C’est intolérable. Enfin, plusieurs cas d’ajouts d’objets et de documents incriminants dans les effets personnels des interpellé.es rappelaient des pratiques que l’on prête aux régimes autoritaires les plus grotesques. D’après les observations d’élu.es sur place et le recueil des témoignages, une saisine de l’IGPN sera effectuée.

Ainsi, la préfecture de police a ordonné la mise en œuvre d’actes ouvertement illégaux, malgré les appels téléphoniques répétés d’élu.es présent.es. Quelques vitres brisées, portes tombées, surfaces repeintes valent-elles les abus physiques et psychologiques commis sur des centaines de manifestant.es ? Amundi, plus grand gestionnaire d’actifs européen, se remettra bien de l’action - les dommages étaient réparés dans la journée même ; difficile cependant d’en dire autant des populations autochtones qui comptent leurs frères et soeurs assassiné.es, des peuples persécutés qu’on déplace de leurs terres, des sols et cours d’eau irrémédiablement pollués, des paysages défigurés. C’est tout cela que nous défendions vendredi, face à un exécutif qui s’est fait sans surprise le complice décomplexé de la sauvegarde des intérêts du capital colonialiste et écocidaire. Sciemment, il choisit son camp, il choisit ses méthodes : humilier, violenter, parquer.

Crédits : Regard Brut
Crédits : Regard Brut

Nous ne fantasmons pas un résultat positif des différents recours effectués. Ces cas sont loin d’être nouveaux et n’aboutissent quasiment jamais à des condamnations. Mais ils iront aussi loin qu’il le faudra et nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.

Un “Etat de droit” commence par respecter sa propre loi ; si les recours n’aboutissent pas, camarades, nous aurons de nouvelles raisons d’en tirer d’évidentes conclusions.

Police : où en sommes-nous ?

Nous n’avons même pas eu le temps de voir toustes nos camarades sortir de détention ce weekend que d’autres se faisaient déjà violemment arrêter à Greendock, face contre terre, fusil LBD braqué sur la tête. Nous n’avons même pas eu le temps de nous assoir ensuite pour rédiger ce texte, que ce lundi soir les manifestant.es venu.es en soutien au peuple palestinien exterminé à Rafah devant les yeux ébahis du monde entier se voyaient nassé.es, gazé.es, matraqué.es, interpellé.es. C’est frénétique.

Crédits : Regard Brut

Cela doit nous rappeler que si ces pratiques sont si généralisées, c’est qu’elles sont l’aboutissement d’une culture d’impunité systémique, soutenue par un appareil médiatique toujours au garde-à-vous et prêt à légitimer la police dans ses pires abus. Les éborgné.es, mutilé.es, morts de tous les mouvements des dernières décennies ne leur suffisent pas. A la loi et la justice s’est depuis longtemps substitué l’ordre “républicain” des préfets : coups de matraques, gardes à vue distribuées comme des heures de colle au collège, fichage massif des militant.es, plus récemment criminalisation de l’engagement pour la Palestine.

En cela, nos plaintes ne peuvent que s’inscrire dans la grande continuité des combats de celles et ceux qui nous précédent et nous suivront, et dont la voix ne porte peut-être pas autant que la notre le pourra. Nous avons le privilège de disposer de multiples soutiens institutionnels ; c’est loin d’être le cas de toustes celleux qui vivent au quotidien les situations que nous avons subies ce week-end : populations racisées, des quartiers, trans, gilets jaunes… Apportons alors un indéfectible soutien à leurs causes.

Dans la nasse de vendredi, la police proposait aux manifestant.es des prises d’identité contre leur liberté ; soit dit autrement, de se laisser ficher pour s’épargner 48h de galère. Un “marché” aux allures avantageuses… mais aussi un mensonge éhonté. A l’initiative d’un camarade a été lancé en réponse un beau moment d’auto-organisation à plusieurs centaines de personnes : une AG lors de laquelle ont pu être rappelées les pratiques de la police et discutés les intérêts d’une stratégie de défense collective. Résultat : la majorité s’en est tenue à ne rien donner et a pu sortir sous X, la police étant dans l’incapacité de toustes nous enfermer - 300 personnes de moins dans les fiches policières.

Crédits : Les photos de Poppy

Cela doit aussi nous rappeler que dans un Etat policier, il existe un principe cardinal simple : toute parole policière est à mettre en doute. Nous sommes là pour lutter contre l’hégémonie du capital mortifère. L’Etat envoie la police pour le défendre. Alors face à vous, ses objectifs sont simples : punir et obtenir le maximum d’informations pour vous charger, vous-mêmes ou vos camarades. Le mensonge est pour la police une méthode comme une autre ; en témoignent les militant.es sorti.es sur prise d’identité avec promesse d’être relâché.es et qui se sont finalement retrouvé.es en garde à vue. Alors face à eux, la meilleure défense est encore la suivante : garder le silence, suivre la stratégie collective.

Le mot de la fin

Vendredi, nous agissions ensemble contre un des nombreux maillons de l’appareil colonial moderne, qui partout exploite et détruit dans son illusoire quête de profits. Leur responsabilité est entière dans les désastres sociaux et écologiques en cours que nous ne cessons de porter devant leurs yeux. Leur responsabilité est entière dans leur choix de s’en remettre aux outils répressifs et illégaux de l’Etat. Suite aux événements de ce weekend, la bataille juridique est engagée.

Nous pensons aux camarades dont les modes d’action sont moins désobéissants et espérons qu’iels pardonneront d’avoir été pris dans ce mouvement ; que lors des interpellations, en cellule, à la sortie des commissariats, les multiples solidarités qui émergent dans ces difficiles moments auront su vous aider à tenir ; que toustes enfin ont pu récupérer de cet éprouvant weekend. Prenez soin de vous, prenons soins les un.es des autres.

Cette action était sous le signe du front commun. De tous bords, nous étions ensemble.
Continuons !
Il faut qu’il tombe !

Crédits : Regard Brut