Rappel des faits

Le 17 juin, une quinzaine de nos militant·e·s (Extinction Rebellion Lyon) ont neutralisé 360 trottinettes électriques en libre-service (free-floating) des 4 marques présentes à Lyon : Bird, Dott, Lime et Voi (Blablacar).

Dott et Voi ont répondu à cette action en dénonçant un acte de vandalisme et en proposant de nous recevoir. À la vue de l’hypocrisie de ces start-ups, nous ne souhaitons pas dialoguer avec elles, mais présentons ci-dessous notre réponse à leur argumentaire. Une fois de plus, leurs communiqués de presse avancent des arguments mensongers, tel que le prétendu remplacement de la voiture par la trottinette, ainsi que des chiffres fantaisistes en opposition totale avec ceux produits par les études scientifiques. L’appel des actions du 17 juin ( Le 17 juin, agissons contre la réintoxication du monde, Reporterre, 20 mai 2020 (Source)) proposait de dénoncer et de lutter contre la réintoxication du monde. Le libéralisme sauvage mis en action par ces start-ups de trottinettes libre-service représente bien cette intoxication.

Par cette action, nous dénonçons et luttons contre le désastre écologique et les problématiques sociales qu’engendrent les trottinettes électriques, et ce, malgré l’argumentaire de communication de ces start-ups, qui tente de les présenter comme une solution alors qu’elles ne règlent en rien les problèmes. Au contraire.

Nous demandons le retrait immédiat des trottinettes en libre service, et continuerons de lutter contre elles tant que ce retrait ne sera pas effectif.

L’intox : Les trottinettes seraient écologiques et remplaceraient les voitures

La majorité des start-ups de trottinettes se vantent d’être écolo, en ayant un programme de recyclage parfait, et proposant un mode de transport remplaçant la voiture. Vous, (Dott et Voi, qui ont communiqué pour le moment sur notre action), ne vous différenciez aucunement des autres acteurs actuels du secteur de la micro-mobilité.

Il y a moins de deux ans, vous avez introduit les trottinettes électriques free-floating dans l’espace public en prétendant qu’elles étaient une solution (voire la solution) au problème écologique des déplacements actuels. Or, comme nous allons le voir, ceci est faux. En effet, plusieurs articles scientifiques (voir ( S. Severengiz, S. Finke, N. Schelte and N. Wendt, “Life Cycle Assessment on the Mobility Service E-Scooter Sharing,” 2020 IEEE European Technology and Engineering Management Summit (E-TEMS), Dortmund, Germany, 2020, pp. 1-6, doi: 10.1109/E-TEMS46250.2020.9111817. (Source)) et ( Joseph Hollingsworth, Brenna Copeland and Jeremiah X Johnson, “Are e-scooters polluters? The environmental impacts of shared dockless electric scooters”, Environmental Research Letters, Volume 14, Number 8 (Source)) ) ont montré que les trottinettes free-floating étaient loin d’être aussi écologiques que vous tentez de le faire croire. En pratique, vous répondez artificiellement à un soi-disant besoin que vous avez vous-mêmes créé, et que vous vous empressez de monnayer.

Le problème que vous prétendez résoudre est celui que vous appelez le problème du dernier kilomètre, apparu exactement au moment de l’émergence des start-ups de votre genre : celles des vélos free-floating ( Zhili Liu, , Xudong Jia, Wen Cheng, “Solving the Last Mile Problem: Ensure the Success of Public Bicycle System in Beijing”, Procedia - Social and Behavioral Sciences 43 ( 2012 ) 73 – 78 ) . Avant cela, ce problème du dernier kilomètre n’était utilisé que dans la logistique du transport de marchandise. Quelle ironie…

Non, la trottinette ne remplace pas la voiture. Des études ont d’ailleurs été faites, et le constat est clair : elles remplacent majoritairement la marche (43 %), les transports en commun (38 %) et le vélo (15 %).

Vous mettez également en avant un bilan carbone excellent. Mais là encore, les études montrent que vous êtes loin de la réalité. D’un autre côté, l’introduction de ces trottinettes a amené avec elles de nombreux nouveaux problèmes, du point de vue de l’espace public, de l’intrusion dans la vie privée, et d’autres effets qui sont pour le moment difficilement quantifiables, comme la morbidité due à la diminution de la marche et du vélo.

Tout ce qui semble vous importer, c’est de pouvoir faire vos montées de fonds et d’être bankable. Vous n’avez aucun discours objectif sur les impacts négatifs, écologiques et sociétaux, de votre entreprise.

Vos publicités et communiqués parlant d’écologie semblent écrits par des avocats, marketeurs ou lobbyistes, mais nullement par des scientifiques se voulant les plus objectifs possible.

Les chiffres de CO2/km annoncés dans vos communiqués en réponse à notre action sont très éloignés de ceux des études scientifiques ( S. Severengiz, S. Finke, N. Schelte and N. Wendt, “Life Cycle Assessment on the Mobility Service E-Scooter Sharing,” 2020 IEEE European Technology and Engineering Management Summit (E-TEMS), Dortmund, Germany, 2020, pp. 1-6, doi: 10.1109/E-TEMS46250.2020.9111817. (Source)) et ( Joseph Hollingsworth, Brenna Copeland and Jeremiah X Johnson, “Are e-scooters polluters? The environmental impacts of shared dockless electric scooters”, Environmental Research Letters, Volume 14, Number 8 (Source)) . Pouvez-vous citer un article qui va dans votre sens ?

Vous définir comme écolo et en faire votre principal argument marketing est une imposture. En revendiquant cette image très éloignée de la réalité, vous vous inscrivez pleinement dans la pratique du greenwashing.

Votre principal argument marketing, à savoir l’argument écologique décliné en appellations frauduleuses telles que mobilité durable, transport écologique, mobilité douce en est un cas exemplaire. Au vu de l’urgence climatique, cette tromperie est criminelle.

Devant ces critiques, vous serez peut-être tentés d’avancer cet argument rebattu : ce n’était que vos débuts, vous vous êtes améliorés, vous comptez vous améliorer encore. Ce serait avouer que vous n’avez pas apporté une solution, mais un nouveau problème… Vous pourriez aussi prétendre que l’impact écologique sera positif d’ici quelques années.

Cela serait avouer que votre entreprise n’est fondée que sur une nouvelle, et énième, hypothèque écologique. Beaucoup trop dangereuse car vos sociétés ne sont pas viables, sont ou vont pour la plupart fermer, laissant un bilan écologique général catastrophique. L’exemple récent proche est le fiasco écologique des vélos free-floating ( Wu Guoyong, No place to place: full record of china’s shared bike graveyards in 20 cities, Modu magazine (Source)) . En quoi prétendez-vous faire mieux qu’elles ? 

Le sujet de l’écologie est trop important pour le laisser aux startupers et au libéralisme sauvage.

En détail : Fabrication et réparation

Sur le site de Dott, vous écrivez nos deux-roues, trottinettes électriques en tête, ne ressemblent à aucun autre !… À part la couleur, le modèle actuel à Lyon n’est ni plus ni moins la trottinette ES400 d’OKAI/electisian. Chez Voi/Blablaride, vous préférez le concurrent Segway (SNSC 2.3 actuellement à Lyon). Ces entreprises fournissent également beaucoup de vos concurrents, et inondent le monde avec des trottinettes fabriquées en Chine, à bas coût et à la sécurité douteuse. Vous n’avez aucune part dans leur conception, à part les couleurs que vous choisissez et mot de passe/numéro IP qu’ils rentrent dans le boitier IOT. Rien ne vous différencie donc sur ce point.

Combien d’années OKAI ou Segway assureront-elles la conception et la production de pièces de rechange pour ces trottinettes ?

Les vélos, bus, trams, et voitures peuvent durer plusieurs dizaines d’années, ont des pièces de rechanges souvent standard, et la garantie de pouvoir être réparés pendant des années.

Depuis son arrivée à Lyon, Dott a déjà inondé l’espace public de 3 modèles différents de trottinettes.

Si vous êtes pérennes, pourquoi changer si souvent de modèle, quand chacun a des pièces spécifiques et non interchangeables ?

Dott est arrivé à Lyon en avril 2019 avec un modèle de Kuickwheel, tellement low-cost que le micro-contrôleur utilisé était un clone (sans doute illégal…) chinois d’un STM32, histoire de gagner 30 centimes par trottinettes. Voi utilisait à ses débuts des Ninebot SNSC, tristement connues pour leur fameux 29 jours de durée de vie moyenne. Vous vous êtes empressés d’entrer sur le marché en prenant les constructeurs les moins chers, qui inévitablement produisaient des trottinettes fragiles et vite obsolètes. Est-ce cela que vous appelez durabilité ?

Pouvez-vous d’ailleurs communiquer les chiffres sur la taille de votre flotte actuelle, comparativement au nombre total de trottinettes que vous avez fait produire ? Comparativement à celles qui sont utilisées ? Comparativement à leur durée de vie ?

Durée de vie et impact au kilomètre

Dans son communiqué, Dott évoque un chiffre de 30 g de CO2 par km en 2021. Pourquoi ne pas donner les chiffres des années passées, et comment pouvez-vous avancer un chiffre exact pour le futur ? Voi prétend 40 g/km… Encore une fois, d’où vient ce chiffre ? Ne confondez-vous pas les trottinettes en libre service et trottinettes personnelles, au bilan bien meilleur ?

Les chiffres donnés par les scientifiques sont beaucoup moins bons : à peu près 200 g/km de CO2 par km. Il s’agit de ce que produit une voiture. De plus, est-il vraiment honnête de comparer une trottinette à une voiture, sachant que la plupart des trajets effectués en trottinettes remplacent soit la marche, soit le vélo, soit des transports en commun ? Comparativement, un vélo produit environ 8 g de CO2 par km. Tous ces chiffres proviennent d’une étude scientifique ( S. Severengiz, S. Finke, N. Schelte and N. Wendt, “Life Cycle Assessment on the Mobility Service E-Scooter Sharing,” 2020 IEEE European Technology and Engineering Management Summit (E-TEMS), Dortmund, Germany, 2020, pp. 1-6, doi: 10.1109/E-TEMS46250.2020.9111817. (Source)) .

Dott affirme également que la durée de vie d’une trottinette moyenne est de 36 mois. Mais Dott – comme les autres start-ups – n’existe même pas depuis 36 mois (3 ans) ! Alors comment savoir ? Surtout que même si les durées de vie ont augmenté depuis les premiers modèles construits par Segway (29 jours), les derniers chiffres restent inférieurs à 2 ans dans l’imaginaire même des VC (venture capitalists) qui croient en vous ( How E-Scooters Can Win a Place in Urban Transport BCG, 2 janvier 2020 (Source)) . De plus, quelle est la durée de vie de chaque partie de vos trottinettes ? La plupart des pièces électroniques sont coulées dans du silicone (contrôleur de moteur, batterie…), et non réparables.

L’argument tout électrique n’est pas un argument valable. L’électricité n’a pas un impact écologique nul, loin de là. Également, que ce soit les trottinettes ou les camions qui les déplacent, il faut les construire (souvent en Chine, à l’aide de centrales à charbon), et les entretenir… Voir à ce propos ( La transition électrique : les doigts dans l’emprise, #DATAGUEULE 98 (Source))

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Fin de vie

Vous mettez en avant une politique irréprochable de recyclage. Mais en y regardant de plus près, on voit qu’il ne s’agit que d’un argument marketing de plus. Le récent partenariat Paprec de Voi/Blablaride que vous promouvez dans votre communiqué en est un parfait exemple.

En lisant cet article, on réalise à quel point la réalité est tristement éloignée de ce que vous tentez de faire croire: il s’agit d’un test sur 400 cellules (c’est-à-dire, 10 batteries), donc très loin d’être appliqué à toutes vos trottinettes. Seulement la moitié des cellules, qui sont très certainement âgées de moins de 2 ans comme votre entreprise, ont pu être sauvées pour cette fameuse 2e vie …

On remarquera au passage que vous avez attendu deux ans pour vous préoccuper du problème du recyclage des batteries ! De plus, il est temps d’arrêter de leurrer l’opinion en faisant croire qu’un objet recyclé n’a pas de coût écologique, ou encore qu’un véhicule électrique n’est pas polluant. Le taux de recyclage des déchets électroniques est extrêmement faible.

En ce qui concerne le recyclage des batteries, à la vitesse actuelle, toutes les ressources de lithium pourraient être épuisées d’ici 10 ans !

Vous préoccupez-vous de la façon dont les nombreux minerais nécessaires (métaux et métaux rares) sont extraits ? Par qui ? Dans quelles conditions ? Iriez-vous l’extraire vous-même ?

Contrairement à des vélos ou des voitures, vos trottinettes n’ont absolument rien de standard, et utilisent des protocoles propriétaires : elles ne pourront même plus servir comme trottinette une fois que vous vous en serez débarrassé, si votre entreprise fait faillite, ou si vous renouvelez votre flotte après que des VCs vous auront donné un sursis de quelques mois. Le métal de vos trottinettes devra être refondu pour pouvoir servir à autre chose. Quant aux pièces électroniques, elles finiront très certainement dans un des nombreux cimetières de déchets électroniques dans le monde ( Usages et usagers de services de trottinettes électriques en free-floating en France, 6-t, 20 juin 2019. (Source)) .

Modèle social et gestion de fin de votre entreprise

Vous vous vantez d’avoir des CDI et d’être écologiques, tout comme CIRC/Flash à l’époque. Mais qu’est-ce qui garantit que vous aurez un meilleur comportement que CIRC lorsqu’il a quitté Lyon ? ( Lyon : Après le retrait des trottinettes Circ, 44 salariés assurent être sans nouvelle de leur employeur, 20 minutes, 10 septembre 2019 (Source)) Pouvez-vous d’ailleurs être plus clair sur votre modèle économique ?

Quelles sont vos stratégies commerciales ? Revendre au meilleur moment ? Utiliser les données récoltées ? Espérer un jour avoir des trottinettes rentables ?

En cas de faillite, qu’allez-vous faire de votre flotte ? Ferez-vous comme Uber qui vient de détruire 20 000 vélos électriques de la marque Jump ? ( Uber start destroying 20,000 Jump bikes after recycling proves too complicated, Cycling Weekly, 7 juin 2020, (Source)) ( Pourquoi Uber détruit des milliers de vélos Jump plutôt que de les donner ?, LaLibre, 29 mai 2020. (Source))

Créer des emplois ou de la croissance n’est pas une qualité en soi : une rivière propre ne fait pas augmenter le PIB. Mais une rivière polluée le fait augmenter 3 fois : une fois avec ce qui est produit et déversé dans la rivière, une fois quand on va chez le médecin parce qu’on est malade d’avoir bu de l’eau polluée, et une fois quand on utilise la technologie pour dépolluer la rivière.

Et il ne s’agit pas que d’une métaphore : les trottinettes électriques polluent aussi littéralement les fleuves. Et non, nous ne sommes aucunement responsables des trottinettes régulièrement jetées dans le Rhône !

Emprise sur la ville et sur nos vies privées

Les start-ups comme les vôtres se sont permises de s’incruster dans nos villes, peu importe que vous ayez eu ou non l’autorisation de la mairie : vous n’avez jamais consulté les citoyens avant de vous implanter. Vous empiétez sur le peu d’espace qu’il nous reste sur les trottoirs, apportant en plus de nouvelles pollutions.

La gestion libérale du stationnement des trottinettes est un enfer pour celles et ceux qui doivent se déplacer en fauteuil roulant, ou les personnes malvoyantes et aveugles ou encore les parents avec des poussettes.

Nos villes ne sont pas un terrain de jeu économique de startupeurs.

Mais si ce commerce n’est pas rentable, qu’est-ce donc qui intéresse les géants comme Google qui alimentent de millions le capital de ces entreprises ? Derrière le bête usage des deux roues, il s’agit de faire céder les gens face à ce nouveau besoin de mobilité connectée, de créer des piétons 2.0. Des piétons 2.0 parce que l’usage de tout objet connecté produit à la fois un service pour lequel le client paie, en même temps qu’il produit, pour le compte de la société en question et ses partenaires une masse de données exploitables et, elles, fort rentables.

En téléchargeant l’application d’une des sociétés de trottinettes en free-floating, l’utilisateur/ice autorise l’accès et le stockage de ses données de géolocalisation sur toutes ses courses.

Ce sont donc autant de données précieuses sur les habitudes de trajets porte-à-porte qui sont générées et stockées, pour être potentiellement vendues à des sponsors et des publicitaires. De la durée de nos visites chez nos amis à la fréquence de nos rendez-vous chez le médecin, les données ainsi collectées sont plus intimes qu’il n’y parait.

Comme souvent, la cession de nos données est irrévocable et définitive, quand bien même nous supprimerions notre compte ou désinstallerions l’application – à moins de formuler une demande expresse selon les droits ouverts par les normes européennes et nationales en vigueur sur les données personnelles. (Source :  ( La mauvaise blague des trottinettes : capitalisme vert, exploitation et surveillance, Acta.zone, 13 septembre 2019 (Source)) )

Conclusion

En conséquence des multiples impacts négatifs de la trottinette électrique déployée par les entreprises privées dans nos villes, nous en demandons le retrait immédiat. La construction d’un monde éco-responsable n’est pas compatible avec la production d’objets inutiles, obsolescents, et peu adaptés à la convivialité de l’espace public.

La logique qui sous-tend ce déploiement est une logique économique qui vise à individualiser les déplacements et les rendre payants, ce qui va à l’encontre des enjeux environnementaux et sociaux auxquels nous devons actuellement faire face.

Extinction Rebellion Lyon

Sources