Pandémies et catastrophes éco-climatiques

épisode 3/4 : futures épidémies

Malheureusement, la situation que nous vivons actuellement avec le COVID-19 risque de ne pas être une exception mais plutôt une crise sanitaire parmi d’autres, voire de plus en plus graves et fréquentes.

Le dérèglement climatique pourrait entraîner la libération de virus et bactéries contenus dans les sols gelés depuis des milliers d’années. De nouvelles zoonoses pourraient également émerger via des changements importants au sein des populations animales par la destruction de la biodiversité, mais aussi par des flux migratoires modifiés à la fois chez les animaux et chez les humains.

1 | Fonte du permafrost : libération de virus et de bactéries

Les sols de régions situées aux pôles et en haute altitude sont en train de dégeler pour la première fois depuis des milliers d’années : c’est ce qu’on appelle la fonte du permafrost. Ce phénomène risque de libérer de grandes quantités de gaz à effet de serre et représente donc une menace d’emballement pour le dérèglement climatique, l’arctique se réchauffant déjà 2 fois plus vite que le reste de la planète (38). Les scientifiques prédisent que même si nous limitions le réchauffement à 2°C au-dessus des niveaux préindustriels, nous finirions par perdre 40 % de cette surface gelée. Or des virus et des bactéries y sont piégés depuis des millénaires et pourraient ainsi remonter à la surface.

En 2016, dans une ville du cercle arctique, un enfant de 12 ans est décédé lors d’une épidémie d’anthrax, alors que cette bactérie n’avait plus été détectée dans la région depuis 1941. Cette épidémie, selon les experts, a été déclenchée par un temps exceptionnellement chaud. En effet, les spores d’anthrax peuvent survivre dans des restes humains et d’animaux congelés pendant des centaines d’années. La bactérie libérée a contaminé des rennes (2 300 bêtes décédées) et s’est aussi probablement infiltrée dans les eaux souterraines avant de contaminer les habitants (96 hospitalisations) (39). D’autres maladies pourraient également être en attente. Les chercheurs ont trouvé des fragments d’ADN de variole dans le permafrost russe et des traces de la grippe espagnole de 1918 en Alaska (40).

Début 2020, des scientifiques ont analysé des carottes de glace au Tibet, dont l’une datant de 15 000 ans. Sur les 32 virus détectés, 28 étaient inconnus. Dans le meilleur des cas, nous risquons avec le réchauffement de perdre cette trace du passé, dans le pire de voir émerger de nouveaux virus (41).

Mais est-ce que ces anciens virus représentent un risque réel ? « Peut-être », déclare Jean-Michel Claverie, professeur de génomique et de bio-informatique à l’université d’Aix-Marseille (42). Ses recherches, basées sur l’étude d’un virus vieux de 30 000 ans extrait du permafrost sibérien et qui est redevenu infectieux après plusieurs millénaires de dormance, ont montré que les virus peuvent “survivre” des dizaines de milliers d’années (43). Ce professeur a aussi déclaré que : “Le réchauffement et l’augmentation du nombre de personnes dans les régions arctiques auparavant inhabitées, sont la recette théorique d’une catastrophe. Cependant, personne ne sait comment estimer la probabilité que cela se produise. Nous savons seulement que c’est possible”.

N’oublions pas que le réchauffement climatique ne se résume pas qu’à la fonte du permafrost et qu’il a d’autres conséquences sur la santé humaine. Notamment, la migration de nombreuses espèces animales est à prévoir, ce qui pourrait bien entraîner, via la rencontre entre ces animaux et l’humain, l’émergence de nouvelles zoonoses (44).

2 | Perte de biodiversité

La biodiversité peut être perçue comme une menace, puisque les espèces animales peuvent être vectrices d’une quantité encore inconnue de virus mortels pour l’être humain. C’est en fait exactement l’inverse (5) :

- une grande diversité d’espèces-hôtes limite la transmission en la “diluant” (effet de dilution ou effet tampon);

- une grande diversité d’hôtes peut limiter l’expansion du parasite ou du virus en l’exposant à des hôtes inadéquats ou résistants;

- des populations importantes d’hôtes potentiels garantissent une forte diversité génétique et donc une probabilité plus forte d’avoir des individus résistants.

En clair, la biodiversité est un excellent rempart naturel face aux maladies émergentes. Sauf que la biodiversité est en péril et pourrait même disparaître brutalement (45).

Un article scientifique écrit par F. Keesing et une équipe américaine en 2010 a notamment démontré que la maladie de Lyme, liée à la bactérie Borrelia burgdorferi transmise par les tiques, est moins présente si la diversité en petits mammifères est plus importante. Certains de ces mammifères sont des “culs-de-sac” ne transmettant pas la maladie et permettent ainsi de “diluer” le risque de transmission (6, 46). Plus généralement, en tuant les prédateurs des animaux infectés, on ouvre un boulevard à la propagation des maladies. De quoi réfléchir à la place que nous laissons à ces prédateurs dans nos écosystèmes.

“Le nombre d’épidémies de maladies infectieuses est corrélé au nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères en danger d’extinction par pays. Les milieux riches en biodiversité […] contribuent à réduire la transmission des maladies zoonotiques et sont plus résilients. Les pathogènes y sont certes nombreux, mais circulent «à bas bruit», […] ne se propagent pas facilement d’un endroit à l’autre et d’une espèce à l’autre et ne se transforment donc pas en grosses épidémies. C’est ce qu’on appelle l’«effet de dilution». Alors que si on change le milieu, si on réduit le nombre d’espèces, l’effet d’amplification joue au contraire à plein”, affirme Serge Morand, écologue de la santé et directeur de recherche au CNRS (6).

Conclusion globale

Cette crise du COVID-19 est une des premières pandémies à laquelle notre système économique doit faire face. Ses effets mettent cette crise au niveau du choc social et économique de la Seconde Guerre mondiale… et creusent encore la destruction des écosystèmes accélérée depuis quelques décennies.

Comme l’ont montré ces 3 épisodes, une partie des actions humaines, dont le socle est une destruction et un mépris de la nature (déforestation, braconnage, élevage intensif, destruction des écosystèmes, métropolisation outrancière, mondialisation…), ont favorisé l’émergence de micro-organismes pathogènes, leur transmission inter-espèces animales (homme compris) puis inter-humaine, ainsi que l’apparition de résistances au sein de ces germes. Continuer dans cette voie ne peut qu’amplifier ces épidémies et pandémies et les rendre de moins en moins maîtrisables.

Il faut aussi bien comprendre que ces problèmes touchent l’ensemble du monde et pas seulement la Chine ou l’Afrique, et que la tendance occidentale à être moralisateurs et à juger les autres pays et sociétés n’est que pure hypocrisie… Philippe Grandcolas, spécialiste de l’évolution des faunes et du comportement des insectes dictyoptères, directeur de recherche au CNRS et directeur de laboratoire au Muséum national d’histoire naturelle : “Nous pensons toujours avec une certaine vision Nord-Sud, voire avec xénophobie. Cela nous permet de critiquer la mauvaise gestion des marchés en Chine par exemple, alors que nous avons les mêmes problèmes. Ainsi, en France, nous tuons des centaines de milliers de renards par an. Or ce sont des prédateurs [utiles pour réduire le nombre] de rongeurs porteurs d’acariens qui peuvent transmettre la maladie de Lyme par leurs piqûres” (14).

Face aux crises sanitaires, l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) et l’Organisation Mondiale pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) ont développé une approche globale et systémique : “One health” ou “Un monde, une santé”. Cette approche repose sur le lien entre santé humaine, santé animale (via les zoonoses) et environnement.

santé de l’environnement + santé humaine + santé animale = 1 santé

Cette approche montre toute son efficacité dans les domaines des zoonoses émergentes, de la sécurité sanitaire des aliments et de l’apparition des antibio-résistances.

En conséquence, nous, membres d’Extinction Rébellion, demandons l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant. L’extermination en cours de la vie sur Terre est d’une ampleur comparable aux grandes extinctions géologiques. La destruction des écosystèmes et des espèces animales et végétales par la surexploitation et la pollution sont une conséquence directe du développement de nos sociétés modernes. Les mesures compensatoires n’enrayent aucunement l’extermination massive en cours. La biodiversité doit être reconnue et respectée pour sa valeur intrinsèque et pas uniquement pour les “services” qu’elle nous rend. Nous nous battons pour que nos sociétés reconnaissent avec humilité leur place au sein de la biosphère et engagent une démarche de restauration écologique à la mesure des dégâts causés.

Suite au prochain épisode…

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Article rédigé par le groupe Recherche et Systémique XR France

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[5] Article de Rodolphe Gozlan et Soushiet Jagadesh, IRD dans Conversation 2 mars 2020 Fièvre hémorragique de Crimée-Congo, virus Ebola et maladie du virus de Marburg, fièvre de Lassa, coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) et syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), Nipah et maladies hénipavirales, fièvre de la vallée du Rift, Zika…

[6] Interview de Serge Morand, Ecologue de la santé, directeur de recherche au CNRS et au Cirad

[14] Interview de Philippe Grandcolas, spécialiste de l’évolution des faunes et du comportement des insectes dictyoptères, directeur de recherche au CNRS et directeur de laboratoire au Muséum national d’histoire naturelle pour le journal Le Monde

[38] Permafrost collapse is accelerating carbon release, Turetsky et al., Nature 569 (2019) 32

[39] https://www.theguardian.com/world/2016/aug/01/anthrax-outbreak-climate-change-arctic-circle-russia

[40] https://www.telegraph.co.uk/global-health/climate-and-people/thawing-siberian-permafrost-soil-risks-rise-anthrax-prehistoric/

[41] Glacier ice archives fifteen-thousand-year-old viruses, Zhong et al., BioRxiv preprint

[42] Interview parue dans Newsweek

[43] Thirty-thousand-year-old distant relative of giant icosahedral DNA viruses with a pandoravirus morphology, Legendre et al., PNAS 111 (2014) 4274

[44] Article de sciences et avenir présentant une carte interactive prédisant des mouvements migratoires de différentes espèces animales.

[45] The projected timing of abrupt ecological disruption from climate change, Trisos et al. Nature (2020),

[46] Étude montrant que certains mammifères permettent de limiter la dissémination de la maladie de Lyme en mangeant les tiques. Exemple illustrant la necessité d’une conservation de la biodiversité pour limiter la survenue d’épidémies.