Pour situer l’auteur de l’article : Seumboy Vrainom :€, artiste et militant chez Extinction Rebellion France (XR) depuis mars 2019. Je suis un héritier de l’histoire coloniale française. Comprendre cette histoire est un enjeu vital pour moi et de nombreuses personnes trop rapidement décrites comme « issues de l’immigration ». C’est l’histoire qui explique ma présence au monde. Une histoire complexe qui a crée les privilèges et les dominations qui façonnent nos vies. J’ai souvent du mal à m’intégrer dans les milieux écolos très « Blancs » (1). Chez XR j’ai trouvé suffisamment d’espace pour* réfléchir à une vision de l’écologie dans laquelle je me reconnais en tant que citoyen racisé (2) et afro-descendant (3) français. Cet article présente un espoir qui évoluera à force de recherches, de disputes et de rencontres.
Comme le rappelle Stuart Basden, Extinction Rebellion n’est PAS un mouvement « pour le climat ». Nous reconnaissons que les urgences écologiques et climatiques ne sont que des symptômes du mal causé par notre mode de vie destructeur. Réduire notre niveau d’émissions de CO2 n’est pas notre unique objectif. L’extinction massive du vivant nous oblige à penser une intersectionnalité des luttes.
Notre Progrès, notre Confort Moderne et notre Développement sont construits et se maintiennent principalement grâce à l’exploitation coloniale des peuples et des sols de notre planète.
La différence entre pays « développés » (anciennes métropoles coloniales) et « en voie de développement » (anciennes colonies) est une fiction héritée de notre histoire coloniale commune. Cette fiction alimente la mécanique de destruction du vivant.
L’écologie dont parle XR est une écologie politisée et radicalisée. Dans cet article je parlerai du « système qui détruit le vivant ». Un système composé de Patriarcat , de Capitalisme , de Néo-libéralisme , de Productivisme ,… et dont l’une des racines principales est le Colonialisme .
Pourquoi décoloniser ?
Tout part d’une idée simple : dire officiellement que la colonisation est terminée ne fait pas immédiatement disparaître l’imaginaire, l’histoire, la culture, la répression, les lois, les relations, les politiques et les traumatismes coloniaux.
Décoloniser c’est apprendre à reconnaître l’héritage de cette histoire coloniale que nous partageons avec tous les peuples du monde. C’est une enquête pour comprendre pourquoi, par qui et comment le Colonialisme à été mis en place. Nous sommes tou.te.s légitimes pour mener cette enquête, avec nos différentes origines, langues, religions ou couleurs de peaux. Décoloniser c’est l’espoir que cette histoire nous rassemble au lieu de nous diviser.
La Non-Violence choisie par XR s’appuie souvent sur les exemples de militants décoloniaux anglophones comme Gandhi, Martin Luther King Jr ou Rosa Parks. Pourquoi s’inspirer exclusivement de luttes dont nous connaissons si mal l’histoire et dont les contextes répressifs étaient si différents des nôtres? Trop de militant.e.s Non-Violents français brandissent ces figures morales des luttes britanniques sans chercher à comprendre la spécificité des luttes décoloniales en contexte français. Les Nègres-Marrons, Ho-Chi-Minh, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Thomas Sankara, Ruben Um Nyobè, et tant d’autres ont des tactiques à nous apprendre.
« penser l’écologie en omettant la constitution coloniale du monde, c’est comme essayer de réfléchir à un problème en se cachant un œil. » — Malcom Ferdinand
Quel rapport entre Écologie et Colonialisme ?
Au sein d’XR nous revendiquons « la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises actuelles ainsi qu’une communication honnête sur le sujet. » Je crois que lier écologie et décolonisation c’est commencer à communiquer honnêtement sur l’origine de la crise.
C’est dans les plantations coloniales esclavagistes qu’ont été développées les premières mono-cultures massives. C’est pour extraire l’argent de la mine de Potosí que les colons espagnols provoquèrent l’effondrement des sociétés Amérindiennes. C’est grâce aux compagnies coloniales que les sociétés par actions et les premières Bourses furent mises en place. C’est pour l’exploitation du caoutchouc que des milliers de mains furent coupées au Congo Belge. C’est pour acheminer des minerais que 17 000 indigènes congolais périrent lors de la construction forcée du chemin de fer Congo-Océan. C’est pour garder un contrôle sur l‘exploitation du nickel que la France maintient sa domination sur les Kanaks de Nouvelle-Calédonie.
Les métropoles coloniales ont contracté une dette écologique qu’il est urgent de reconnaître.
Définir le Colonialisme
Pour moi, le Colonialisme n’est pas une opinion morale individuelle. C’est l’esprit qui permet aux citoyen.ne.s des anciennes métropoles coloniales d’obtenir à faible coût, des « ressources naturelles » provenant d’ anciennes colonies . C’est le projet civilisationnel de la modernité occidentale. Le garant de notre Confort Moderne .
Dès l’époque du 1er empire colonial français, les occidentaux construisent le concept d’une Nature qui se différencie de l’ Humain. Ce concept permet d’isoler l’ Humain en tant que « sujet » capable d’observer les « objets » du Monde et de comptabiliser ce Monde en termes de « ressources naturelles ». Inspiré par les explorations coloniales, le biologiste allemand Ernst Haeckel crée le concept d’Écologie, pour décrire une science de « l’économie de la Nature ».
Cette vision compartimentée et hiérarchique fini par isoler l’Homme « Blanc », conçu comme le « maître » du Monde , et permet de construire le Racisme pour légitimer l’exploitation de certains humains par d’autres. La métropole coloniale peut ainsi revendiquer la productivité de ses colons « Blancs » autorisés à dominer les « Autochtones » qui « gâchent » les ressources naturelles par « paresse ». Racisme , Nature et Écologie ont permis l’émergence de l’exploitation coloniale, principal moteur de la destruction du vivant.
La Colonisation n’est pas seulement une domination entre humains. C’est une domination entre humains dans le but d’exploiter des sols et de maintenir ou d’atteindre un certain niveau de confort.
Alors oui, la Colonisation est indissociable de l’ Écologie.
Aujourd’hui, la pollution coloniale
Le capitalisme vert et le développement durable poussent les populations occidentales à trier individuellement leur déchets. Une pression morale absurde quand on sait qu’une grande partie des déchets triés sont envoyés dans d‘anciennes colonies telles que le Vietnam ou le Ghana. Ces pays n’ont pas la capacité de traiter une telle masse de déchets qui finissent dans d’immenses décharges à ciel ouvert.
Pour développer son savoir-faire en termes de nucléaire, la France a réalisé ses essais dans ses colonies. Principalement en Algérie et en Polynésie-Française qui souffrent encore aujourd’hui de cette pollution.
Les sols de Guadeloupe et de Martinique ont été contaminés avec l’accord de l’État pour soutenir la production intensive de bananes destinées à l’exportation. Sans terres cultivables, les habitant.e.s dépendent plus que jamais des produits d’importation.
L’eau polluée d’un fleuve du Togo sera sûrement la même qui arrosera les parcelles sauvées du Triangle de Gonnesse lors d‘une prochaine pluie acide.
Pourquoi avoir si peur de parler de colonisation ?
Parce que l’exploitation coloniale ne s’est jamais arrêtée. La France est toujours un empire colonial possédant 12 colonies appelées territoires Outre-Mer qui hébergent d’ailleurs plus de la moitié de la bio-diversité du pays.
La France continue à exploiter les peuples et les sols de ses anciennes colonies pour obtenir des ressources et maintenir son rayonnement diplomatique international (uranium Nigérien, Franc CFA, dettes illégitimes, monopoles portuaires et ferroviaires…).
Avec une telle actualité nous préférons souvent employer le terme « néo-colonialisme » qui signifie tout simplement « nouveau colonialisme ».
Ce que nous craignons souvent c’est d’être jugé.e.s individuellement coupables. Cette peur morale nous empêche de nous renseigner et nous pousse à collaborer avec le système de domination.
C’est pourquoi je ne moralise pas la question coloniale. En suivant les principes d’Extinction Rebellion , je ne cherche pas à culpabiliser les individus mais à attaquer le colonialisme en tant que système, esprit ou hyper-objet .
Les pièges à éviter
Nous n’avons aucune leçon de conduite à donner à d’autres pays. Soyons humbles. Mais nous avons une responsabilité en interne pour faire pression sur nos gouvernements et faire cesser nos exploitations coloniales. Nous avons le pouvoir de critiquer la gouvernance des affaires étrangères de notre pays.
Penser que l’augmentation de la population humaine détruira la planète est une idée fondamentalement coloniale et raciste. On sait bien que les populations qui augmentent sont principalement asiatiques et africaines. L’Occident réalise soudain que son mode de vie ne peut pas être universalisé. Il est nécessaire de maintenir l’ordre colonial pour que la planète supporte la présence humaine. Il préfère alors laisser des humains mourir en mer ou prôner la limitation des naissances au lieu de remettre en question son mode de vie et de reconnaître sa dette écologique.
L’augmentation de la population humaine est la raison pour laquelle il est urgent de penser une écologie décoloniale. Nous devons comprendre que le Développement , le Confort Moderne et la Croissance que défend l’Occident sont construits par l’exploitation coloniale et la destruction de notre planète. Ce n’est pas un modèle à promouvoir ni à sauver.
Nous ne voulons pas tomber dans le complexe du sauveur occidental qui pousse tant de privilégié.e.s à pratiquer le tourisme humanitaire ou le colonialisme vert.
Quelles solutions ?
Il est urgent pour les militant.e.s « écologistes » de se renseigner sur notre histoire coloniale commune et sur les destructions qu’elle permet. Cette recherche nous aidera à prendre en compte les dynamiques « raciales » qui se jouent au sein des mouvements écologiques.
L’effondrement que nous craignons a déjà commencé dans certaines anciennes colonies et des vagues de plus en plus importantes de réfugié.e.s atteignent les territoires des métropoles coloniales.
Comprendre que nous sommes tou.te.s héritier.ère.s d’une histoire coloniale commune c’est un premier pas pour vivre ensemble dans le respect de notre planète.
L’écologie décoloniale d’Arturo Escobar nous montre comment les luttes des indigènes et les mouvements de libération en Amérique latine apprennent à lutter de façon réaliste contre le néolibéralisme, et à favoriser un mode de vie respectueux de notre planète.
L’Afrotopie qu’imagine Felwine Sarr nous invite à reconnaître la richesse des mécanismes de résistances à la destruction qui existent dans les territoires colonisés.
Les Savoirs-Situés dont parle Donna Haraway nous proposent de remettre en question « l’objectivité rationnelle scientifique » qui a toujours servit à légitimer un regard patriarcal, blanc et colonial sur le monde.
Nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup de gens, de sols, de plantes, d’animaux, d’esprits à rencontrer.
Et le colonialisme n’est pas la seule racine de nos maux. Le forum d’Extinction Rebellion France permet d’ouvrir des débats sur tous types de sujets (écoféminisme, anarchisme, anti-capitalisme, extractivisme…) qui permettent d’agir pour le vivant.
Le cercle écologie décoloniale est accessible à cette adresse : https://base.extinctionrebellion.fr/c/cercles-intimes/ecologie-coloniale
Amour et Rage !
Pour une écologie décoloniale ! Seumboy :€
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Quand j’emploie le mot « Blancs » je fais référence à une catégorie sociale désignant des personnes originaires d’Europe de l’Ouest. Cette catégorie sociale à été inventée par le colonialisme pour justifier le racisme. Je ne crois pas qu’il existe des races biologiques. Voir L’histoire des Blancs de Nell Irvin Painter.
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Racisé : assigné et réduit à une origine, réelle ou fantasmée, du fait de sa couleur de peau, son faciès, ou son patronyme. Plus clairement dit : victime de racisme.
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Afro-descendant : Une personne née hors d’Afrique, mais ayant des ancêtres nés en Afrique subsaharienne en nombre suffisamment important pour que cela ait une incidence sur l’apparence ou la culture de cette personne.
74 Références utiles :
Origines de l’écologie — Wikipédia
La sixième extinction massive a déjà commencé— National Géographic
Extinction Rebellion isn’t about the Climate — Stuart Basden
Pour une écologie décoloniale — À propos de : Arturo Escobar. Sentir-penser avec la Terre. L’écologie au-delà de l’Occident, par Claire Gallien
« Nous avons besoin d’une écologie décoloniale » — Entretien avec Malcom Ferdinand
Décoloniser l’écologie — avec Daiara Tukano et Fatima Ouassak
L’effondrement, une crainte de privilégiés ?— Débat avec Seumboy et Luc Semal
L’homme a mangé la Terre — Documentaire Arte
La dette écologique. Qui doit à qui ? — Comité pour l’abolition des dettes illégitimes
Expliquez-moi l’écoféminisme — Violynea et Natty
Discours au sommet d’ Addis Abéba le 29 juillet 1987 — Thomas Sankara
Dette écologique & Extractivisme — AVP n°67
This is what Extinction Rebellion must do to engage with people of colour on climate justice — Minnie Rahman
Nous n’avons jamais été modernes — Débat avec Bruno Latour
« Le pouvoir des hommes repose sur des fictions collectives » — Entretien avec Yuval Noah Harari
L’invention de la « race blanche » — Cours de Felix Boggio Ewanjé-Epée et Maboula Soumahoro
Où nos déchets terminent-ils ? — BRUT.
Le problème de la wilderness, ou le retour vers une mauvaise nature— William Cronon
Philosophie politique du paysage, écologie et anarchisme— extraits d’un texte d’Alban Mannisi
Les fausses prétentions du libéralisme — France Culture, avec Domenico Losurdo
Felwine Sarr — Afrotopia — Librairie Mollat
Savoirs situés et savoirs sur le corps : introduction — par Leslie Fonquerne et Marie Walin
Donna Haraway / Speculative Fabulation — Fabbula Magazine
MANIFESTE AFROTOPIQUE // Quelques réflexions de FELWINE SARR — Podcast Afrotopiques
FRANCOISE VERGES // Les racines esclavagistes de notre mondialisation et leurs ramifications — Podcast Afrotopiques
Bruno Latour — Où atterrir ? : Comment s’orienter en politique— Conférence de Bruno Latour
« La traite et l’esclavage ont permis l’émergence du capitalisme » — Entretien avec Daniel Voguet et Max-Jean Zins
Le capitalisme est-il l’horizon indépassable de l’humanité ?— Compte-rendu de Jacques Wajnsztejn
« Macron et le ventre des femmes africaines, une idéologie misogyne et paternaliste » — Entretien avec Françoise Vergès.
Migrations : la bombe à retardement climatique — Dominique Pialot
Demain, trop d’humains ? — Paul Molga
Climat : « Nous sommes tous dans le même bateau, mais tous n’ont pas accès aux canots de sauvetage » — Thierry Amougou
Du colonialisme au néo-colonialisme — René Gendarme
« Le néocolonialisme est l’instauration de mécanismes de dépendance sans occupation militaire » — Saïd Bouamama
Histoire démographique des amérindiens — Wikipédia
Bolloré : monopoles services compris — Association Survie
Franc CFA : une monnaie de plomb — Datagueule
Guyane, Plus grande réserve de biodiversité terrestre française — WWF.fr
La Polynésie marquée à jamais par les essais nucléaires français — Kim Feldmann
Controverse autour du recyclage du plastique. Désirs globaux contre inquiétudes locales à Nhu Quynh, Vietnam — Mikaëla Le Meur
Le mythe du développement durable — Florence Rodhain et Claude Llena
Réflexions sur le « capitalisme vert » — Maxime Combes
Le capitalisme, vert ou pas, est un « suicide écologique » — David Klein
La Louisiane française (1682–1803) Empire Colonial Français — France Inter
La révolte Kanaks de 1917 — Émission Itinéraire de Nouvelle-Calédonie
La ligne Congo-Océan : une traverse, un mort — Balthazar Gibiat
Les « mains coupées » du Congo, une horreur de la colonisation — Sarah Diffalah
Compagnie néerlandaise des Indes orientales — Wikipédia
Les grandes sociétés par actions et les compagnies coloniales de l’Europe des temps modernes du XVI-XVIIe siècle — Jean-Marie Thiveaud
« Anthropocène et plantationocène : de quoi parle-t-on ? » — Linda Boukhris
Le procès de la colonisation française (1925) — HO CHI MINH
Il y a soixante ans, le Cameroun français assassinait Ruben Um Nyobè — Thomas Andrei
Frantz Fanon — cours du FUIQP
« Le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc », Frantz Fanon, esclavage, race et racisme — Françoise Vergès
La vraie vie de Gandhi et le mythe de la non-violence — Robert Paris
Coloniser, éduquer, guider : un devoir républicain — Françoise Vergès
The success of nonviolent civil resistance — Erica Chenoweth
La nature est un champ de bataille — Razmig Keucheyan
Décoloniser les arts : « Les Blancs doivent apprendre à renoncer à leurs privilèges » — Séverine Kodjo-Grandvaux
Chlordecone, un polluant néocolonial — France Culture, LSD
Exploitation de l’uranium au Niger : « Nous avons hérité de la pollution durable » — Almoustapha Alhacen
Noam Chomsky raconte «l’Occident terroriste» — Nic Ulmi
L’œuvre française au Togo et au Cameroun, anciennes colonies allemandes placées sous le mandat de la France — Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France
Nouvelle-Calédonie : le nickel, un enjeu plus stratégique qu’économique pour la France — Claudia Cohen
Ils ont critiqué le progrès — Claire Debôves
Mobilités africaines, racisme français — Michel Agier, Rémy Bazenguissa-Ganga et Achille Mbembe
Comment éviter le cliché de l’occidental sauveur du petit africain sur les réseaux sociaux — La toile scout
Colonialisme Vert — AJ+
Dénoncer le fléau du «volontourisme» en Afrique avec des poupées Barbie — Camille Belsoeur
Au Ghana, avec les damnés du «Sodome et Ghomorre» électronique — Dylan Gamba
Agir sur les structures étatiques pour décoloniser les imaginaires — Décoloniser les arts
Lettre de la prison de Birmingham — Martin Luther King Jr
Une vie : Rosa Parks — BRUT.
L’Outre-Mer, une survivance de l’utopie coloniale républicaine ? — Françoise Vergès