Une grande manifestation s’est déroulée ce 1er juillet aux alentours de Saverdun dans la Vallée de la Basse Ariège, organisée par Extinction Rebellion. Le rassemblement, qui s’est tenu du vendredi au dimanche, a été organisé dans le cadre de la Rébellion Nationale de Printemps intitulée “L’eau Rage Gronde”, dont les principales revendications étaient de déclarer l’état d’urgence hydrique et de s’opposer au projet local d’extension de gravières installées sur la nappe phréatique dans la vallée de la Basse Ariège. La “Manif’action” a rassemblé 500 manifestant.es qui ont participé à une grande action de désobéissance civile, artistique et humoristique.
La ressource en eau en Occitanie est mise en péril par l’exploitation abusive de gravières sur une de ses plus importantes nappes phréatiques. Actuellement exploitées sur 240 hectares, le Schéma Régional des Carrières d’Occitanie prévoit d’entériner en 2023 leur extension sur 850 hectares supplémentaires. Ce sont autant de terres agricoles qui seront confisquées.
Le collectif STOP Gravières, né officiellement le 22 mars 2023, considère que cette extension, autorisée par les services de l’État, est suicidaire dans le contexte actuel de changement climatique. STOP Gravières rassemble des agriculteurs et des membres d’associations de protection de l’environnement : l’APROVA (Association pour la Protection de la Vallée de l’Ariège et de sa nappe phréatique), APRA-Le Chabot (Association de Protection des Rivières Ariégeoises), le CEA (Comité Écologique Ariégeois) et Eau Secours 31 (association luttant pour l’eau en Haute Garonne). Toutes se soucient de l’eau et actionnent ensemble l’outil juridique pour faire reconnaitre le droit à l’environnement. Font également partie du collectif la Confédération Paysanne, qui se bat pour une agriculture paysanne respectueuses des paysans et de la nature et Extinction Rebellion Ariège, antenne locale de l’organisation internationale de désobéissance civile écologiste.
La nappe concernée est une nappe phréatique alluviale, c’est à dire que ce sont des tonnes de galets, de graviers et de sable sur une profondeur de 15 à 30 mètres qui sont saturés d’eau sur une bonne partie de leur hauteur et qui servent de filtre épurateur naturel. La zone saturée de la nappe s’écoule très lentement, à raison d’environ 6 mètres par jour. Elle contribue, l’été, au débit d’étiage par ses connexions aux eaux de surface et permet la survie de la biodiversité des milieux aquatiques. L’extraction des galets, graviers et sables de la zone saturée provoque la destruction de la nappe telle qu’elle a été créée par les glaciers il y a des milliers d’années. La zone non saturée (ZNS) est la partie utile de la nappe pour les massifs forestiers et pour l’agriculture car elle conditionne la vie du sol et du sous-sol. Elle a un impact direct sur le profil d’humidité du sol et contribue à déterminer le besoin d’irrigation.
Que font les carriers ?
Les machines extraient les graviers utilisés par le BTP jusqu’au sol dur, 15 à 30 mètres plus bas, découvrant un grand plan d’eau qui se trouve être en fait l’eau souterraine de la nappe. Celle-ci, exposée à l’air libre, devient vulnérable, soumise à l’évaporation (1 m3/m2/an), à la pollution atmosphérique, microbiologique et à celle liée au remblaiement.
Conséquences hors des sites exploités :
Du fait de l’extraction des graviers, les petits cours d’eau suspendus au-dessus de la nappe et descendant des Pyrénées, qui alimentaient la nappe depuis des décennies, sont maintenant en assec quasi-permanent toute l’année avec un impact mortifère pour la biodiversité. Sur toute la vallée, les eaux superficielles qui circulaient dans ces cours d’eau sont comme « aspirées » par la nappe anormalement basse.
Autre problème lié à ces exploitations :
Le remblaiement partiel des « trous » avec des tonnes de déchets dits « inertes » pour limiter l’évaporation à partir des plans d’eau. L’enfouissement de ces déchets, qui est payante pour les dépositaires, est une véritable manne financière pour les carriers. Au terme des exploitations, ces remblaiements jusqu’au socle de la nappe constitueront un barrage souterrain de plusieurs kilomètres de longueur sur 200 mètres de largeur, jouant le rôle de barrière artificielle aux écoulements naturels de la nappe : sa continuité hydraulique sera définitivement bouleversée. Ces déchets, pas ou peu triés, contiennent entre autre, des styrènes (plaques isolation), des hydrocarbures aromatiques polycycliques, du bisphénol A, des plastiques, du béton contenant de l’aluminium, des déchets de métaux non recyclés, du plâtre seul ou lié, des pneus, des enrobés et goudrons de voirie, des isolants électriques, des boiseries peintes ou traitées…
À la fin de l’exploitation, il ne reste plus qu’à recouvrir partiellement de terres pour essayer de transformer la surface en terres cultivables. Les engrais chimiques à base de nitrate d’ammonium utilisés sur ces sols pauvres en humus augmentent la dilution des bétons d’un facteur 100. Cette accélération de la lixiviation vient s’ajouter à l’acidification des milieux hydriques et vient augmenter le re-largage des constituants des bétons, dont l’aluminium et d’autres polluants dissous, dégradant ainsi la qualité des eaux par des contaminants probables de la chaîne alimentaire. Ces polluants métalliques ne sont pas biodégradables mais persistants, bioaccumulables et toxiques pour la santé humaine, animale et végétale.
Face à cette énième absurdité écocidaire, Extinction Rebellion a décidé de mettre un gros coup de pression populaire sur les autorités locales et les exploitants des gravières. Une série d’actions de sensibilisation et de désobéissance civile non-violente avait déjà été entreprise au cours de l’année 2023 par le groupe local d’Extinction Rebellion Foix et alentours contre ces mêmes gravières. Parmi les industriels visés par ces actions se trouvent Denjean Granulats, Spi Batignolle, BGO & SECAM et Midi Pyrénées Granulats, filière du groupe Lafarge, entreprise notamment condamnée par les États-Unis pour avoir financé le groupe terroriste État Islamique (DAESH) en Syrie. Cette lutte vient en soutien à de nombreuses autres, parmi lesquelles la lutte contre les méga-bassines, portée par Bassine Non Merci, la Confédération Paysanne et les Soulèvements de la Terre (désormais administrativement dissoute), les trous laissés par les gravières devenant finalement des giga-bassins de plusieurs dizaines d’hectares à ciel ouvert ! Elle est également intimement liée à la lutte contre l’autoroute A69 Toulouse-Castres, 2.6 millions de tonnes de graviers extraits en Basse Ariège servant de matériaux de construction pour cette autoroute.
Toute l’Occitanie était donc conviée en Ariège alors que d’autres actions, également portées par Extinction Rebellion, se déroulaient simultanément à Paris et Lyon afin d’alerter la population et les pouvoirs publics sur la préservation et le partage juste et équitable des ressources en eau, ainsi que sur les moyens de s’adapter aux sécheresses causées par le réchauffement climatique.
Vendredi 30 juin :
Le rendez-vous, dont le lieu fut dévoilé seulement la veille afin d’assurer la tranquillité de l’installation du camp, débutait dès le vendredi après-midi dans la commune de Bonnac, sur un terrain privé mis à disposition par une sympathisante d’Extinction Rebellion. S’y trouvaient un camping, un grand chapiteau pour les concerts, un bar, une cantine à prix libre, un pôle médical, un pôle contre les violences sexistes et sexuelles ainsi qu’un groupe dédié à l’écoute active et au soutien psychologique.
Samedi 1er juillet :
Le lendemain, dès 10h, un briefing était organisé pour préparer les manifestant.es à l’action de la journée, pendant que ces dernièr.es revêtaient des combinaisons de peinture blanche, le dress code du jour, en clin d’œil au collectif allemand Ende Gelnde également en lutte contre l’extractivisme industriel. Simultanément, un autre rassemblement de manifestant.es se constituait un peu plus bas, dans le centre de la commune du Vernet, afin de garantir au cortège l’accès au seul pont traversant la rivière de l’Ariège, anticipant ainsi toute manœuvre de blocage de la part de la gendarmerie. C’est un peu après 11h que le cortège s’est élancé du camp avec à sa tête un tracteur et des banderoles sur lesquelles on pouvait lire “Sous les gravières, l’eau rage”, “Grave hier, pire demain” ou encore “Extraction Rebellion”. Une fois le pont franchi sans encombre et tout le monde rassemblé en un seul cortège, c’était une marche de plusieurs kilomètres qui débutait pour les activistes. Destination : une des gravières fraîchement creusée par Midi Pyrénées Granulats, filière du groupe Lafarge. Seule une voiture et une paire de motards de la gendarmerie encadraient alors le cortège.
Une fois arrivé aux abords de la gravière cible, un pan de la clôture s’est spontanément abaissé, permettant à environ 300 personnes de pénétrer à l’intérieur de la carrière sous les applaudissements du reste du cortège resté en arrière pour protéger la sortie. Des canots ainsi qu’une excavatrice en bois ont été mis à l’eau et amenés au centre du bassin à coups de pagaie, en référence au nom choisi pour cette action “La Gravière S’amuse”. Dans le même temps, d’autres activistes sont monté.es sur les vraies excavatrices pour les redécorer de grandes banderoles déclarant “Qui sème le béton aura bientôt la dalle” ou encore “Eau Secours”. Après environ 45 minutes d’occupation du site et le passage à basse altitude d’un hélicoptère de la gendarmerie, l’ensemble des militant.es sont ensuite ressorti.es et se sont remis.es en route vers le camp de base pour profiter d’un repas bien mérité et d’une soirée de concerts.
Dimanche 2 juillet :
Après une nuit de musique et de célébration sur le camp, la journée du dimanche était dédiée à une table ronde avec la participation des associations et collectifs suivants : l’APROVA, le CHABOT, le CEA, la Confédération Paysanne, l’ATECOPOL de Toulouse, Extinction Rebellion ainsi qu’un chercheur en histoire moderne et contemporaine. Il s’est déroulé deux heures de discussion au sujet de la notion d’urgence hydrique ainsi que sur les stratégies et tactiques de lutte face aux violences policières, à l’autoritarisme grandissant de l’État et à la puissance des industries destructrices de l’environnement. À ce moment là, une intervention d’un membre du public a rappelé, à juste titre, l’importance de la prise en compte de la lutte des classes au sein du mouvement écologiste.
Ainsi s’est clôturée cette mobilisation, qui fut d’une ampleur sans précédent ici en Ariège sur le thème de l’eau et des gravières, et qui était également la première action de cette envergure organisée par le groupe local Ariégeois d’Extinction Rebellion. L’action de désobéissance qui s’est déroulée comme prévue et sans le moindre incident a été positivement marqué par l’absence quasi-totale de forces de police. L’hypothèse selon laquelle les CRS étaient complètement mobilisés sur Toulouse à ce moment là trotte dans la tête de nombreu.ses militant.es sans pour autant pouvoir être confirmée. À ce titre, le groupe local d’Extinction Rebellion Foix et alentours tient à afficher sa pleine et entière solidarité aux révoltes en cours contre le racisme d’État, les crimes policiers et la répression brutale des mouvements sociaux par le gouvernement autoritaire d’Emmanuel Macron.
Nous rappelons que les revendications d’Extinction Rebellion ce week end étaient de faire déclarer l’état d’urgence hydrique aux communes et entités locales afin de les contraindre à préserver les nappes phréatiques, d’y interdire toute industrie d’extraction et de rendre les terres agricoles à des cultures peu gourmandes en eau et sans produits polluants.