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Le mouvement Extinction Rebellion est aussi divers et riche que les rebelles qui y participent. Cet est espace « Parole de rebelles » est ouvert à toutes les contributions personnelles ponctuelles. Les avis exprimés ici par les rebelles sont personnels et n'engagent que leurs auteur·e·s et pas le mouvement Extinction Rebellion dans son ensemble (France et International).

Avec amour pour la vie, avec rage contre l’économie

Alors que l’épidémie de COVID-19 semble atteindre un ralentissement en France, les principaux dirigeants économiques et politiques s’inquiètent de “l’après” : de la relance économique, de la reprise de la production et donc de la reprise du travail au plus tôt (et ce malgré le confinement).

Ils nous le promettent déjà : “Il faudra bien se poser la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire” (Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF, dans Le Figaro le 10 avril 2020), “Il faudra probablement travailler plus que nous ne l’avons fait avant. Il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective” (Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d’État à l’Économie sur France Info le 11 avril 2020), “Il faut un nouveau capitalisme, plus respectueux des personnes, plus soucieux de lutter contre les inégalités et qui soit plus respectueux de l’environnement” (Bruno Le Maire, sur BFMTV le 30 mars 2020).

Trois piliers du capitalisme

Ce que Bruno Le Maire semble ignorer (ou peut-être qu’au contraire, il en a pleinement conscience), c’est qu’en annonçant cela il met le doigt sur trois des piliers sur lesquels le capitalisme repose : engager les individus à produire grâce au travail et maintenir leur collaboration par les contraintes matérielles dont ils sont dépossédés, maintenir des inégalités entre genres, origines, statuts sociaux à des fins de hiérarchisation et l’exploitation d’une “nature” pensée comme une ressource intarissable et comme une atmosphère, des océans, des terres à polluer.

En 1944 déjà, l’économiste Karl Polanyi [1] décrivait une économie hors du monde, désencastrée des liens qui font la richesse de la vie, les intégrant progressivement au marché, transformant l’autre (qu’il soit humain ou non) en objet libre d’être exploité ou en territoire à conquérir. D’après Polanyi, cette désolidarisation de l’économie d’avec le réel serait à l’origine des régimes totalitaires du XXe siècle.

Les mutations du capitalisme

Depuis cette époque, la sociologie a permis de mettre en évidence les capacités d’adaptation du capitalisme. En posant des conditions à son processus d’accumulation, les tenants de ce système immoral ont néanmoins pu justifier son ordre [2]. À chaque crise, ils ont profité de notre état de choc [3] pour mieux étendre leur emprise. Le “marché concurrentiel” étant présenté comme le meilleur des régulateurs, ses défenseurs ont pu ainsi l’étendre à l’ensemble des domaines de la vie et des liens sociaux. À chaque épreuve qu’on leur imposait, les dirigeants économiques et politiques (quelle que soit leur couleur politique) ont absorbé la critique pour mieux y répondre [4]… Le désir de libération porté par les mouvements de mai 1968 a été substitué par l’accomplissement professionnel au sein d’entreprises soudainement devenues “horizontales”. Les enjeux écologiques depuis les années 1970 se sont vus tour à tour récupérés par le développement durable, la croissance verte, la transition énergétique et écologique. Aux aspirations démocratiques des Gilets Jaunes en 2019, les dirigeants ont répondu à coups de Grand Débat, de cahiers de doléances et de Convention Citoyenne pour le Climat. Aujourd’hui, alors que le COVID-19 met à mal une mondialisation basée sur un libéralisme sauvage, les tenants du capitalisme préparent les esprits à sa prochaine mutation… Emmanuel Macron a été clair dans son allocution du 13 avril 2020 sur sa volonté à “rebâtir notre économie plus forte afin de produire et redonner plein espoir à nos salariés, nos entrepreneurs”, tout en garantissant “la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir”. Un mélange des genres entre croissance économique, technocratie et écologie qui fonde le capitalisme vert depuis de nombreuses années déjà.

Et quand ces stratégies d’apparence pacifiques échouent, les dominants répriment violemment toute contestation qui oserait ne pas se conformer à l’ordre économique et social que le capitalisme impose.

Le dogme économique est contraire à la raison

Il nous faut aujourd’hui nous rendre à l’évidence. Le dogme économique est à notre époque ce que l’obscurantisme religieux était aux Lumières : une croyance contraire à la raison. Une raison pourtant basée sur des sciences qui ne cessent de nous alerter depuis des décennies sur la finitude de notre monde incompatible avec une croissance économique infinie, sur la fragilité du climat, sur l’explosion des inégalités. C’est que le capitalisme a su, une fois encore, utiliser la science à son avantage en créant de toutes pièces une “science économique” basée uniquement sur des arrangements contractuels passés entre ses principaux bénéficiaires. En transformant la raison en une rationalité froide, il a permis le développement de techniques toujours plus productives, toujours plus destructrices. En faisant de la gestion le rapport sous lequel le vivant devait être perçu, cette rationalité nous a privé des liens sensibles et affectifs que nous pourrions tisser entre humains, avec les autres espèces et les territoires. Grâce à cette rationalité, les contestataires ont pu être réduits au rang de doux-dingues idéalistes, voire de dangereux “terroristes-verts”.

Un choix historique : sauver l’économie ou la vie

Aujourd’hui, à travers la mise à l’arrêt du système, un choix historique s’impose à nous : sauver une économie qui détruit la vie ou sauver la vie elle-même dans la richesse des liens humains et non-humains qu’elle nous offre. Et toute la “complexité” de notre monde, brandie par les dominants comme leur domaine exclusif ou comme excuse à leurs agissements, ne saurait nous détourner de ce choix et de la lutte qu’il implique.

Car il nous faut lutter, avec plus de rage qu’hier mais toujours autant d’amour, dans le respect de ce que chacun.e est en capacité d’assumer de risques et de répression, en repensant nos méthodes pour les adapter à ce contexte sanitaire nouveau, mais aussi à un état d’urgence et une surveillance renforcée qui risquent de durer.

Avec Amour pour les soignant.e.s, les endeuillé.e.s, les victimes de l’épidémie et celles de la violence d’un quotidien imposé, les gens de lutte en gilets blanc, jaune, vert ou noir.

Avec Amour pour la vie et les vivant.e.s qui la peuplent.

Avec Rage contre l’économie.

Texte par Runa_Puma et le groupe affinitaire XR PEPPS (Pour une Écologie Politique, Populaire et Sociale)

Bibliographie :

[1] Karl Polanyi, La grande transformation, 1944

[2] Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999

[3] Naomi Klein, La stratégie du choc, 2007

[4] Luc Boltanski, De la critique, 2009

Voir aussi : Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, 2018

Photo : Action menée lors de l’ouverture de la COP25 © B_Thevenin