Première partie : Une pratique aux multiples facettes

Note préliminaire :

Cet article a pour sujet le système de soutien aux personnes arrêtées que nous appelons « GAVup », vu sous l’angle de la culture du soin que nous déployons au sein de notre mouvement, qui s’inscrit dans ce que nous appelons « culture régénératrice ».

Le sujet connexe des gardes à vue en elles-mêmes dans le cadre français, particulièrement grave et d’actualité, est bien trop vaste et complexe pour être traité comme il se doit ici. Cependant, nous tenons en préambule à reconnaître l’aspect dramatique des conditions d’interpellation et de détention des personnes subissant la garde à vue en France, qu’elles soient matérielles mais aussi et surtout psychologiques.

Nous nous associons sans réserve à la souffrance de l’ensemble des personnes qui passent à travers cette machine à broyer, parfois pour des motifs allégués en totale disproportion avec le traitement qui leur est réservé, et en particulier avec celles qui en sont particulièrement victimes : populations socialement faibles, sans défense, discriminées. Ce n’est pas parce que ce sujet des gardes à vue ne paraît que de manière incidente dans les lignes qui suivent que nous le considérons comme accessoire ou secondaire. Mais nous pensons aussi que c’est justement parce que la violence est là, qu’il convient de lui apporter un pendant et une réponse non violente adéquate — ce dont traite l’article.

When the night has come

And the land is dark

And the moon

Is the only light we see

No I won’t be afraid

No I won’t be afraid

Just as long as you stand

Stand by me

If the sky that we look upon

Should tumble and fall

And the mountains

Should crumble to the sea

I won’t cry, I won’t cry

No I won’t shed a tear

Just as long as you stand

Stand by me

Quand la nuit viendra

Quand la terre sera dans l’obscurité

Quand la lune

Sera la seule lumière qu’on verra

Non je n’aurai pas peur

Non je n’aurai pas peur

Tant que tu te tiendras

À mes côtés.

Si le ciel, vers lequel nous levons les yeux

Doit s’effriter et tomber

Et les montagnes

S’écrouler dans la mer

Je ne pleurerai pas, je ne pleurerai pas

Non je ne verserai pas une larme

Tant que tu te tiendras

À mes côtés


S’engager, en particulier dans un mouvement de désobéissance civile comme XR, cela peut parfois supposer de prendre certains risques. Et s’engager ensemble, c’est être solidaire des risques pris par les autres membres du mouvement.

Cette solidarité, que la plupart des mouvements, militants, sociaux, syndicaux, connaissent sous une forme ou une autre, prend chez le jeune mouvement qu’est XR des contours particuliers. Cette solidarité, elle est en train de s’inventer, de se former, de se dire, de s’écrire. Et puisque la solidarité, comme l’amour, n’est faite que d’actes, pas de paroles, il sera ici question d’une de ses incarnations localement les plus éclatantes dans la vie de notre mouvement : « GAVup ».


L’action est terminée. Votre action. Vous l’avez voulue. Vous savez pourquoi vous êtes là. Et maintenant, vous êtes entre les mains des forces de l’ordre. C’est la première fois, alors vous avez un peu peur. Heureusement, vous êtes plusieurs à être embarqué·es en même temps. Les rebelles plus expérimenté·es vous rassurent du regard. C’est un moment à passer, voilà tout. D’expérience, les violences policières si tristement bien documentées ne touchent pour le moment qu’exceptionnellement les membres du mouvement — du moins les violences physiques — du moins pendant les gardes à vue. Mais vous craignez malgré tout ce moment où vous allez vous retrouver, peut-être seul·e, face à l’officier de police judiciaire (ou OPJ). La violence psychologique de certains interrogatoires, les tentatives de manipulation et d’intimidation, les entorses à vos droits, vos camarades vous en ont parlé.

En garde à vue, le temps peut paraître long, et le climat pesant. Quel contraste avec l’excitation et l’adrénaline de l’action… Mais le pire, c’est peut-être l’incertitude. Quand vais-je sortir ? Et si ce que m’a dit l’OPJ était vrai ? Que les conséquences pour moi pourraient aller jusqu’à avoir des problèmes dans mon travail, dans ma famille ? Que mon matériel informatique pourrait être perquisitionné ? Mes proches pourraient-iels en souffrir ? Me suis-je suffisamment préparé·e à cela ? Les enjeux sont colossaux, pour autant suis-je suffisamment convaincu·e de ce pour quoi je lutte pour aller jusque là, voire au-delà s’il le faut ? Ne serais-je pas tout simplement en train de manquer de courage ?

Et soudain, par la fenêtre du bureau de l’OPJ, subrepticement, vous les voyez. Vous sentiez, non, vous saviez qu’iels étaient là, même si rien ne vous l’indiquait avec certitude. Mais les voir, vos camarades, vos ami·es… là dehors, à quelques mètres ! Presque comme si vous étiez côte à côte, encore dans l’action, comme si l’amitié vous rapprochait plus que les murs ne vous séparaient. Quand vous sortirez, iels seront toujours là, fidèles. Iels vous proposeront des vêtements, du café, des gâteaux, un massage… Iels voudront tout savoir sur ce que vous aurez vécu.

« GAVup » c’est ça. C’est simple. « Tant qu’il y a des rebelles à l’intérieur, vous nous trouverez à l’extérieur ». Avec constance, persévérance. Coûte que coûte.

Rest your head

You worry too much

It’s going to be alright

When times get rough

You can fall back on us

Don’t give up

Please don’t give up

Take a rest

You worry too much

It’s going to be fine

When times are hard

You can rely on us

Don’t give up

Please don’t give up.


Il est nouveau dans l’exercice. « Sa » première GAVup, il l’a organisée en juin 2020, lors de l’action sur les pistes d’Orly. Simadilu, ou « Sima », de son surnom, a l’élocution fluide et les mots précis de celui qui a l’habitude de manipuler des idées. Avant de rejoindre XR en mai 2019, il commence par du militantisme plus classique au sein d’une ONG luttant contre la pauvreté, participe au projet de pétition l’Affaire du Siècle, puis à une autre pétition contre les ventes d’armes.

Mais il en ressent rapidement les limites. « Le militantisme classique est nécessaire et vital pour la justice sociale et climatique, mais je me suis aperçu à maints égards qu’il est très insuffisant. C’est pourquoi je me suis rapproché de la désobéissance civile nonviolente. » Au sein d’XR, il s’intéresse tout particulièrement à la culture régénératrice, et se concentre sur les formations et l’accueil des nouveaux et nouvelles.


Simadilu fait partie de la première génération de personnes formées sur l’un des rôles clés de ce type d’« action dans l’action », comme il la définit, après les débuts réalisés plusieurs mois auparavant par les inventeurices de la version francilienne de cette pratique. Ses mots choisis et son discours construit montrent qu’il a intégré et rationnalisé le concept.

Pour lui, il s’agit de « l’application très concrète de la culture régénératrice en action ». La culture régénératrice ? Elle est aussi omniprésente et, pour encore beaucoup de rebelles, difficile à définir, que le serait l’océan pour un banc de poissons. Elle perfuse et parcourt tout le mouvement, mais nous baignons tellement dedans par tant d’aspects, qu’il est souvent compliqué d’avoir le recul nécessaire pour juger de ce qu’elle apporte et représente pour nous. Nous y reviendrons dans cet article. Et justement, GAVup en est une expression vivante et claire.

Une action dans l’action, certes, mais pour quoi faire ?

Même si elle est récente au sein de notre mouvement, et qu’elle est taillée sur-mesure pour s’inscrire dans nos principes et notre culture, il ne s’agit pas finalement d’une pratique tellement originale. De nombreux mouvements sociaux la mettent en œuvre sous une forme ou sous une autre, dont récemment les Gilets Jaunes. Ses motivations sont multiples. Elle peut être vue comme un message envoyé à celles et ceux qui observent ce qui se passe depuis l’extérieur du mouvement, et en particulier les forces de l’ordre.

“Le message, c’est : nous sommes un mouvement horizontal, vous avez emmené nos copains et nos copines, mais vous auriez tout aussi bien pu nous emmener nous, donc on est là aussi, on est solidaires. Si vous voulez nous mettre aussi en garde à vue, vous pouvez, on est aussi légitimes qu’elleux.”

“On partage absolument la responsabilité et les risques”

En ce sens, c’est un message éminemment politique, qui semble bien compris au regard de l’hostilité qui s’exprime souvent chez les forces de l’ordre qui se confrontent au groupe de soutien devant leurs portes. Certain.es considèrent aussi qu’une présence d’un groupe de soutien à l’extérieur du commissariat met une certaine pression sur les forces de l’ordre, qui seraient ainsi enclines à libérer les rebelles plus rapidement, ou à tout le moins à les traiter le mieux possible, intérêt qui n’est pas des moindres au vu du durcissement de la répression réservée aux militant.es écologistes ces derniers mois.

D’ailleurs, le mot GAVup croise l’acronyme de garde à vue, GAV, et le verbe anglais give up, laisser partir les rebelles, et abandonner les «travaux d’investigation qu’ils inaugurent pendant la garde à vue, car ils essayent toujours d’en savoir un peu plus  ».


Mais la fonction primordiale de GAVup, c’est bien sûr d’assurer un soutien aux personnes détenues à l’intérieur du commissariat

Une autre interprétation du nom GAVup serait le message envoyé aux personnes en garde à vue de ne pas lâcher, moralement s’entend, ce qui rejoint le fait que l’inventeur du nom GAVup se soit inspiré de la chanson Don’t give up, interprétée par Peter Gabriel. Ne pas lâcher face à la violence d’Etat qui frappe, parfois par petites touches si on est chanceux, et parfois bien plus durement si on ne l’est pas.

Enfin, GAVup présente une opportunité privilégiée d’échanges avec les forces de l’ordre, justement.

Simadilu, comme d’autres rebelles cité·es ici, ont ainsi évolué sur leur manière d’aborder leurs relations avec eux. Confirmant l’opportunité de notre huitième principe consistant à ne pas personnaliser la lutte, celle-ci portant plutôt sur tout un « système toxique », lui et d’autres ont profité de ces parfois longues heures pour discuter, et prendre le temps de découvrir et tenter de comprendre les êtres humains sous l’uniforme, leur fonctionnement, voire leurs points communs parfois.

« Avant j’étais réticent, mais après quelques GAVup il y a eu des échanges constructifs. C’est bien de voir qu’on peut abattre les barrières symboliques entre eux et nous ».

Même si ce n’est que sur un plan individuel et non pas systémique pour l’instant.

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