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Mais les émotions exprimées par les rebelles présenté·es ici ne sont pas cantonnées aux relations entre rebelles. Une autre catégorie de personnes se dresse entre les rebelles situé·es à l’intérieur et à l’extérieur du commissariat : les forces de l’ordre. Et les relations avec elles sont tout sauf simples, tout sauf manichéennes. En fait, il semble même que toute la complexité de la situation politique et sociale actuelle s’y reflète et s’y révèle. Il y aurait beaucoup à dire sur les aspects politiques de la manière dont les forces de l’ordre traitent un mouvement comme le nôtre, néanmoins dans le cadre de cet article nous nous contenterons plutôt sur le vécu des rebelles.

Pour beaucoup, la méfiance est forte, souvent davantage pour un corps en particulier — souvent la police, à vrai dire. Mais cela dépend beaucoup de l’histoire de chacun·e. Par exemple, Elicha, deux gardes à vue à son actif, reste sur une mauvaise expérience avec les policiers de la BAC (brigade anti-criminalité). Volubile, enthousiaste, le ton de cette jeune militante s’assombrit légèrement quand elle évoque ces souvenirs, même rapidement.

« Les rapports avec eux sont très compliqués. Ils cherchent à déstabiliser et à faire mal. »


En revanche, il se trouve que son expérience de garde à vue avec des gendarmes est aux antipodes. La brigade de gendarmerie en question est manifestement peu coutumière des gardes à vue, et encore moins avec des militant·es, et les gère à sa manière.

« On a eu la garde à vue la plus posée et la plus tranquille de l’histoire des gardes à vue. On rigolait avec nos OPJ, on parlait effondrement avec eux, c’était lunaire… C’était très surprenant mais très enrichissant. Ils sont très sensibilisés — sans avoir besoin de nous. C’est l’un d’eux, et pas nous, qui a commencé à parler d’effondrement, et l’OPJ a été très curieux. Peut-être était-ce de la manipulation pour nous faire parler, mais ça n’y ressemblait pas. »


Pour Elicha, les différences sont telles qu’il est nécessaire d’adapter son comportement.

« Avec la gendarmerie, on est dans la sensibilisation et l’échange. Avec la police, il faut trouver les ressources pour garder le contrôle, pour ne pas répondre aux provocations, pour rester le plus neutre et le plus non violent possible. »

Mais bien sûr, ces généralités sont à tempérer par le facteur humain.

« Dans la police, on trouve des individus qui sont ouverts, mais on sent que le système dans lequel ils baignent est plus rigide. »


Dans tous les cas, pour les rebelles du groupe de soutien qui rentrent en contact avec les forces de l’ordre, même si l’objectif principal reste le soutien apporté aux rebelles détenu.es, il peut y avoir un objectif secondaire de sensibiliser l’individu qui porte l’uniforme, pour mieux disposer en sa propre faveur l’uniforme porté par l’individu.

« On essaye de leur parler à chaque relève, pour avoir le plus d’allié·es possible dans le plus de commissariats possible. Comme on discutait avec l’un de ceux qui arrivaient, après quelques minutes il nous dit “C’est dommage qu’on ne soit pas dans le même camp” ; je lui ai répondu “C’est dommage parce qu’à un moment il n’y aura plus de camps. Il serait temps d’arrêter de penser en termes de camps”. J’ai senti que cela l’avait perturbé ».

“Même ceux qui sont un peu sur la réserve, mais qui nous parlent quand même, on peut tenter de les sensibiliser. Je pense que ceux qui ont envie d’aller parler aux membres des forces de l’ordre doivent tourner, parce que chacun aborde les questions selon son propre angle. “

Certains cultivent un langage encore plus direct, comme Bipbip. Et ça peut tout aussi bien s’avérer efficace. Pendant la GAVup en soutien à Elymus, « vers minuit, un agent de la BTC [brigade territoriale de contact] sort du commissariat. Un rebelle commence à lui parler de manière véhémente. Je suis venu pour temporiser. » Et là, en discutant, sortent des opinions assez peu orthodoxes dans la bouche d’un policier français. « Il m’a dit qu’il y avait tellement peu de personnes formées à la désescalade, voire même l’inverse, qu’il faudrait désarmer tous les policiers de 18 à 22 ans… On a continué à discuter 20 minutes. Je lui ai demandé de voir comment allait Elymus, lui ai dit carrément de voir si elle ne s’était pas fait tabasser, “parce que vos collègues ont l’air chelou” — quelques heures plus tard, après sa garde, il est venu nous dire qu’elle allait bien. »


En fait, ce qui se dessine, c’est le fait que les membres des forces de l’ordre en tant qu’individus s’avèrent parfois eux aussi victimes du système qu’ils entretiennent par ailleurs — mais n’est-ce pas notre cas à toustes a divers degrés ?

Ainsi, pour Benebo, la sensibilisation des forces de l’ordre est l’un des objectifs à part entière de la GAVup, même si l’essentiel reste bien sûr le soutien aux personnes arrêtées.

« Ils ont l’habitude de mettre des gens en garde à vue, et ces gens, personne ne les soutient, ils sont tout seuls. Nous, on arrive et on leur dit : à chaque fois qu’il y a des gens à l’intérieur il y en aura à l’extérieur. Et en plus on est sympas, on leur propose du café, des gâteaux. On discute avec eux, on ne les incrimine pas. On essaye de leur faire comprendre qu’on est toustes dans le même bateau, et que ceux qui s’en sortiront, c’est les ultra-privilégiés qui les utilisent contre nous. »

Et quelle réaction cela suscite-t-il dans son expérience ? « En général on les étonne beaucoup. Il y a comme une forme de respect par rapport à la solidarité qu’on a entre nous. On leur explique qu’on est nonviolents, on leur propose du café, ils viennent au contact d’eux-mêmes. » Puis elle explique le fondement de sa position sur le sujet. « J’ai du respect pour les forces de l’ordre. J’ai vécu dans un pays où ils sont restés chez eux parce qu’ils n’étaient plus payés, et je sais ce que c’est quand c’est la loi du plus fort, avec des mecs armés qui font des barrages et qui t’arrêtent sur la route. Je l’ai vécu pour de vrai. Les forces de l’ordre, à la base, sont là pour protéger les citoyen·nes justement contre la loi du plus fort. Ils sont les premiers à souffrir de la manière dont on les positionne aujourd’hui. Il y a beaucoup de suicides. Ils voient tous les jours ce qu’il y a de pire dans l’humanité, ce que la société ne veut pas voir et cache sous le tapis. Je ne vais jamais les stigmatiser. Derrière chaque uniforme il y a un être humain, une famille…” “C’est des gens pour qui la solidarité est un vrai sujet, prendre soin des autres, c’est à la base de leur métier. »

« La plupart ne sont pas entré.es dans les forces de l’ordre pour taper sur les autres, mais pour être au service de la communauté »

Cette idée que certain·es des membres des forces de l’ordre seraient individuellement tiraillé·es entre leur conception du service à la population, et les ordres qu’ils reçoivent, est illustrée par Simadilu. « Je me souviens d’un moment très fort, un agent nous a dit de ne jamais nous arrêter. C’est profondément touchant de voir qu’on arrive à abattre ce rapport de force, de voir qu’on est toustes dans le même bateau, d’arriver à dépasser cette opposition culturelle et symbolique».

Ces positions ne font pas l’unanimité au sein de notre mouvement

Car, même si effectivement, certains agents à titre personnel témoignent de l’intérêt pour les sujets que nous portons, voire se font le relais de certaines informations, le chemin semble devoir être encore long, du moins en France, avant que ne se manifestent de réels comportements de désobéissance civile au sein des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions. Jusqu’à présent, les ordres, quelque violents et illégitimes qu’ils soient, sont fidèlement exécutés.


Au Royaume-Uni, où le développement d’XR est exponentiel et en avance sur les autres pays, on trouve des témoignages de policiers ayant quitté la police et rejoint le mouvement après être intervenus sur les événements d’avril ou d’octobre 2019. Pourquoi pas demain aussi en France, et ailleurs ?

« Quand le sujet a refusé l’obéissance et quand le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie » HD Thoreau.

Ainsi des faits préoccupants restent-ils bien ancrés. Achillée a tendance à mettre en exergue les dérives qui se sont produites et dont elle recueille le témoignage dans les cercles de parole qu’elle anime sur le sujet. « Il y a ce à quoi les juristes disent que vous avez droit, et la réalité : prise d’ADN de force, modification de preuves, pressions contre le “rien à déclarer”, paroles violentes… Je comprends qu’il faille trouver un équilibre difficile pour ne pas rentrer dans des tensions non nécessaires, en considérant qu’en face c’est un être humain… Mais attention, il s’agit parfois d’une stratégie pour avoir des informations.»

Il faut bien se rendre compte néanmoins que le rapport entre une population et « ses » forces de l’ordre est très variable d’un pays à l’autre. Sans même parler de régimes autoritaires, cette variabilité se retrouve déjà entre pays dits démocratiques. Une rebelle, que nous appellerons Lizzy (ce n’est pas son véritable pseudonyme), témoigne de son expérience en garde à vue à Londres lors de la rébellion d’avril 2019. « Au Royaume-Uni, les relations avec les forces de l’ordre sont très correctes et cordiales.

« Là-bas, pas de gaz, pas de violence. On se battait pour se faire arrêter. »

« Il y avait tellement de candidats à l’arrestation que les forces de l’ordre étaient complètement débordées. Ils arrêtaient 300 personnes par jour et ils les gardaient à peine quelques heures parce que de toute façon ils n’avaient pas de place, et hop, les gens retournaient sur le pont. Ça s’est corsé vers la fin de la semaine parce qu’ils étaient débordés et qu’on ne bougeait vraiment pas, et on était des milliers sur plusieurs sites de Londres qui étaient totalement bloqués à la circulation sur plusieurs pâtés de maison. Le vendredi ils ont commencé à s’énerver un peu, ils ont arrêté encore plus de monde. C’est à ce moment là que j’ai été embarquée. »

Lizzy avait pris ses dispositions, avec un retour en France prévu pas avant le week-end, justement en prévision d’une éventuelle arrestation. Mais, en tant que non-résidente, les autorités ne pouvaient pas la convoquer plus tard devant le juge. Elles voulaient la faire comparaître tout de suite. Mais avec le week-end de Pâques, ça n’a pas pu se faire avant lundi et la réouverture du tribunal tout spécialement pour l’occasion… Lizzy a donc dû patienter trois jours — à l’isolement total. « J’étais prête à me faire embarquer, ça faisait une semaine que j’étais sur le pont en première ligne. Mais je ne m’attendais pas à rester plus de 24 heures… On perd la notion du temps très vite. On ne voit pas la lumière du jour et il y a tout le temps une lumière au plafond. On a vite tendance à somnoler. On se réveille en croyant que c’est le matin mais en fait c’est juste 20 min après. Je n’arrêtais pas de demander l’heure tout le temps. C’était très dérangeant. »

A la sortie, personne. La faute aux circonstances, au nombre de personnes arrêtées, de commissariats concernés, parfois très lointains… Lizzy, qui a participé à plusieurs GAVup en Île-de-France, conclut par une comparaison avec la garde à vue « à la française ». « C’est tranquille en France, tu n’es pas interrogé ni retenu tout seul, à l’isolement. C’est moins éprouvant, tu es en groupe avec tes potes. » Sauf parfois, comme dans le cas de la GAVup à la Goutte d’Or, dont elle était. Ainsi, même si le comportement des agents est globalement bien plus respectueux outre-Manche, une violence d’une autre nature, plus aseptisée mais tout aussi blessante, est infligée à travers les conditions mêmes de détention.

Lizzy est sortie seule — mais en général XR au Royaume-Uni, d’où tout est parti et où iels sont en avance de phase — est bien mieux organisé. Là-bas, l’équivalent de GAVup s’appelle Arrestee Support, c’est-à-dire « soutien aux personnes arrêtées ». Un document disponible sur la Base Internationale, destiné aux participant.es à l’action de soutien, émis par l’équipe locale de culture régénératrice, détaille tout aussi bien l’attitude à tenir, le fameux « consensus d’action », que les objets à apporter sur place, dont un chargeur de téléphone, un parapluie, des jeux, des livres… Autant dire que ça sent vraiment le vécu.


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