Lire l'épisode 3

Il est néanmoins frappant de constater que le système de GAVup est né spontanément du terrain francilien, de manière totalement déconnectée de ce qui se passe outre-Manche. L’existence même du système d’Arrestee Support semble très peu connue parmi les rebelles en France, du moins celles et ceux témoignant ici. On pourrait en tirer des enseignements sur l’opportunité de mieux échanger, de créer davantage de passerelles, etc.

Mais on peut aussi tirer de ce constat une confirmation de la pertinence et de la force, non seulement de nos valeurs et principes en eux-mêmes, mais aussi de notre organisation qui donne une place centrale justement à ces valeurs et principes. Cette organisation horizontale fait de notre mouvement une entité organique, qui agit unie au final, bien que chacun.e soit libre localement d’agir selon ces valeurs et principes comme iel l’entend, et qui évolue selon les mêmes lois que la nature. L’évolution a donné des ailes aux oiseaux et aux papillons indépendamment, sans que leur lointain ancêtre commun n’en soit doté ; notre organisation a fait naître indépendamment Arrestee Support au Royaume-Uni et GAVup en France.


Ce constat de convergence démontre aussi combien cette pratique du support aux personnes arrêtées répond à un réel besoin. Ce besoin n’apparaît pas forcément au premier abord. Notre culture occidentale dominante, celle de la compétition, de la performance, qui hérite aussi d’un machisme loin d’avoir disparu, valorise le résultat au détriment des moyens qu’on y met et des conséquences indirectes pour soi, pour les autres et pour le long terme.

Nous, membres d’XR, sommes né.es de ce terreau, et avons encore un travail à faire sur nous-mêmes, individuellement et collectivement, pour nous en extirper et semer nos graines sur d’autres terres qui seront celles de demain, si demain il doit y avoir : la nonviolence, la résilience, l’interdépendance, le temps long, prendre soin, faire confiance, se reposer sur les autres…


Probablement par habitude ou par éducation donc, les personnes qui sortent de garde à vue ne laissent pas forcément paraître tout de suite leurs émotions, même — ou peut-être surtout — dans ce bain de bienveillance qu’elles reçoivent immédiatement. Malal décrit ce moment ainsi.

« C’est toujours chouette de voir les copaines qui sortent, et souvent iels sont plutôt chill alors qu’on s’attend à les voir dévasté.es, ça fait plaisir. Tout le monde se met autour pour les écouter raconter. »

Mais dans le secret des cœurs, c’est souvent une autre histoire. Blessure il y a bien. La machine, quand elle pèse de son poids sur l’individu, ne laisse pas l’individu indemne. Même si c’est en plus édulcoré qu’en d’autres lieux où d’autres temps, ou pour d’autres catégories de la population, il faut bien l’admettre.


Achillée l’a bien compris. Celle qui admet ne pas souhaiter aller elle-même en action, s’en sentant « pour l’instant incapable », souhaite que celles et ceux de ses camarades qui y participent comprennent aussi son besoin de réciprocité

« Vous prenez soin de nous en allant sur les actions, laissez-nous prendre soin de vous en retour »

C’est pourquoi elle anime aujourd’hui régulièrement des « cercles de parole post garde à vue, dans le but de recueillir la parole et de mieux préparer les futures gardes à vue ». Ce sont souvent des moments forts. « Pendant les cercles de parole, je suis très émue. Notamment quand les personnes ayant été en garde à vue se rendent compte combien celles et ceux qui les attendaient à l’extérieur étaient inquiet.es pour elleux. Je les vois se sentir touché.es. Une circulation émotionnelle se produit. Ça redevient un événement collectif. C’est pendant ces cercles de parole que certain.es prennent la pleine mesure de l’interêt du dispositif. »

Parmi les aspects susceptibles d’être évoqués, il y a bien sûr ceux déjà mentionnés liés aux possibles conséquences pratiques : nécessité d’assumer face à sa famille et dans son travail, risques juridiques, perquisition notamment… Rien que cela suffit largement à faire rentrer la personne en garde à vue dans une anxiété individuelle suffisamment intense pour prendre le pas sur le reste, sur son sens du collectif, voire sur ses convictions. Mais par-dessus tout cela se rajoute le contexte déjà très anxiogène dans lequel la.le rebelle XR se trouve de par sa prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale. Benebo le formule ainsi :

« Ce qu’on voit dans les yeux de celles et ceux qui sortent, c’est du soulagement et de la reconnaissance. Les gens sont touchés car à titre personnel ils se sentent un peu seul face à tout ce qu’ils vivent, la collapsologie, etc. Le fait de se retrouver avec une famille, des gens qui les attendent et les comprennent, c’est important. » Simadilu exprime une idée proche : « Le plus grand danger face à ce qui se passe ça serait de se retrouver tout.e seul.e. »


Mais ce dispositif des cercles de parole n’en est qu’un parmi d’autres visant à limiter les impacts pour les rebelles en première ligne, l’ensemble de ces dispositifs étant intégrés dans la catégorie « soin en action » de la culture régénératrice.

Il ne s’agit pas seulement de prendre soin des personnes pendant l’action, ni seulement de celles qui finissent en garde à vue, mais de couvrir les besoins de toustes en termes de soutien, de parole, d’échanges, de calme aussi, que ce soit avant, pendant ou après l’action. Achillée, dont c’est justement l’une des spécialités, détaille certains de ces dispositifs, qu’elle a contribué à relier à GAVup lors de la structuration de la démarche.

« Après l’action des vélos sur le périphérique, l’idée ça a été de mettre en lien GAVup et bulle de soin »
  • La bulle de soin, c’est un espace créé après une action qui doit répondre à un besoin de calme, de décompression, de silence, propice à l’expression des états émotionnels négatifs. À titre d’exemple, un appartement avait été trouvé lors de la Rébellion Internationale d’Octobre (RIO) pour accueillir les rebelles secoué.es par les événements.
  • Un autre type de « bulle » existe : la bulle régénératrice. Représenté par cette image, un espace à vocation différente, disons plus festive, en tout cas propice aux échanges post action, à la camaraderie, à la célébration. Il s’agit ici de lâcher les tensions, de générer de la cohésion, des émotions positives partagées. Une bulle régénératrice a été mise en place juste à la sortie de la nasse après une action devant l’assemblée nationale, après la RIO, ou après l’action Oiseau de Feu à Orly.

Plus généralement, à la question de ce qui fait qu’une GAVup est réussie, une partie de la réponse qui est donnée tourne souvent autour de la notion de « militantisme soutenable ». Là aussi il s’agit de ne pas retomber dans les travers d’une pensée productiviste, une sorte de mauvais réflexe du « plus, c’est mieux » qu’on appliquerait au militantisme. Malgré l’urgence, malgré la rage qu’on peut ressentir face au déni, au mépris, face aux dégâts faits sous nos yeux, aux arbres qui brûlent plus vite qu’ils ne repoussent — s’épuiser à la tâche serait juste triste et vain, ce serait un peu comme se consumer avec eux…

Non, l’avenir que nous appelons de nos vœux devra s’être libéré de cette injonction permanente d’efficacité à tout crin.

Mais ça ne se fera pas tout seul. C’est pourquoi mettre en pratique dès à présent une logique fondamentalement différente au sein de notre mouvement constitue déjà en soi un acte de rébellion radical. En pratique, cela signifie que, dès la planification de la GAVup, un soin tout particulier est pris pour limiter et répartir les efforts déployés par chacun.e des participant.es.

Pour Malal, la GAVup est réussie « quand les gens ne se crament pas, ce qui serait contradictoire avec le fait d’apporter du soutien à la personne qui va sortir. Il faut savoir s’écouter, se relayer. J’ai vu des gens être très fatigués, rester toute la nuit. » Achillée défend une idée proche. « C’est quand on a réussi à être là à la sortie et capables de proposer ce dont les personnes qui sortent ont besoin : un temps de régénération, de repos, de détente. Et de le faire de manière non coûteuse pour les participant.es à la GAVup. »

Drove the night toward my home

The place that I was born, on the lakeside

As daylight broke, I saw the earth

The trees had burned down to the ground

Ai fait la route de nuit vers chez moi

L’endroit où je suis né, au bord du lac

Au lever du soleil, j’ai vu la terre

Les arbres avaient complètement brûlé

Mais ces pratiques ne représentent qu’une partie de ce qu’XR nomme la culture régénératrice. En Île-de-France, cinq grandes thématiques ont émergé : le soin en action (dont relève GAVup) ou en dehors des actions, penser l’accueil et l’inclusivité au sein du mouvement, prévenir et guérir les conflits, déconstruire les rapports de pouvoir, et enfin se reconnecter à soi et à « plus grand que soi ».


Mais, au-delà de cette présentation descriptive de la culture régénératrice, il y a l’esprit de ce qu’elle représente et constitue. Lorna en parle sous l’angle de son opposition avec la culture dominante, destructrice.

** « La culture régénératrice, c’est aller à l’opposé de la culture actuelle qui est basée sur toujours plus de consommation, et qui ne régénère rien, ni notre environnement, ni le vivant, ni l’humain. Et les émotions qui sont nourries dans cette culture ne nous régénèrent pas individuellement. Elles fonctionnent de manière discontinues. GAVup s’inscrit dans la culture régénératrice par le fait de prendre soin, dans la continuité des actions, et de casser ce système qui détruit.**

Et la culture régénératrice, c’est aussi mettre un cadre qui accompagne ce processus de prendre soin de nous et des autres, avec rigueur et exigence, pour nous éviter de retomber par habitude dans ce système qui détruit. Ce n’est pas de la bienveillance dégoulinante, à tout prix, de la “sur-bienveillance”. Au contraire, on se dit les choses, on apprend juste à les dire d’une certaine manière. La culture régénératrice transparaît dans tous nos principes, comme ne pas juger l’autre, se remettre en question. »


Une autre dimension de la culture régénératrice, l’inclusivité, est une de celle qui ressort beaucoup dans les témoignages. C’est clairement un chantier en cours. Lizzy insiste sur cette exigence, indispensable au développement du mouvement et de la prise de conscience qui doit aller avec.

« C’est OK de ne pas être d’accord, on s’écoute, on débat — tant qu’on s’accorde sur l’essentiel. On est censé attirer des franges très variées de la population, mais en France on en est encore loin. En Angleterre, il y a plein de communautés différentes, plein de mecs en costards, plein de mamies, plein de gens hyper différents qui sont toustes là pour le même combat et mettent leurs différences de vie et d’opinions de côté pour se rassembler. »


Elicha propose une analyse de GAVup qui réintègre cette pratique précise dans cette notion plus large qu’est la culture régénératrice. « GAVup constitue une belle représentation pratique de la culture régénératrice, qu’il est souvent difficile d’expliquer, parce que c’est très large, et parce qu’on a beaucoup de mal à penser le monde autrement que de la manière dont on l’a acquis. Il s’agit de prendre du temps et de l’énergie les un.es avec les autres, de sortir de sa zone de confort et d’échanger avec des personnes avec lesquelles on a moins l’habitude. GAVup c’est de l’empathie, de l’écoute, du calme, de l’organisation. Il y a des objectifs et un cadre qui est maintenu de manière ferme mais pas rigide, en particulier pour que les gens se sentent en sécurité d’aller participer à la GAVup. Il s’agit de penser son rapport à l’autre (ce qui est plus ou moins facile selon qui c’est, autres rebelles ou forces de l’ordre) dans un cadre maintenu et sécurisant. »

La culture régénératrice pourrait bien être notre façon la plus profonde d’agir, même si ce n’est pas toujours la plus visible. C’est elle qui sous-tend les éléments dans nos actions qui frappent le plus les consciences. Et qui attire ou retient les nouvelles recrues.


Avant de rejoindre XR, Bipbip a un court passé de militant. Il rencontre XR au cours de la manifestation du 1er mai. « Je les ai vu.es venir en manif avec des messages trop mignons. Iels sont fait gazer salement, je leur ai mis du sérum physiologique. Elleux, ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait, et je me suis dit, ces gens-là ont l’air vraiment bienveillants ! Dans toute ma vie de militant j’avais un peu cherché ça. Avant de les rencontrer, je me disais, même si on arrivait à tout ce pour quoi on milite, mais certains des gens qui militent autour de moi, il faudrait que je fasse une révolution pour les faire tomber, parce qu’ils ont de l’ego, ils veulent le pouvoir, ils sont toxiques, violents, malsains… Dans la culture régénératrice, le principal c’est de mettre l’empathie avant le reste, comme le premier réflexe qu’on a. Moi j’ai grandi dans un milieu où l’empathie il faut l’écraser, la faire taire. »

Pour Simadilu aussi, la culture régénératrice joue un rôle central et fédérateur, tout sauf abstrait.

« Il faut démystifier la culture régénératrice, ne pas la réduire à un concept baroque simplement évoqué lors des réunions d’accueil, mais la mettre en pratique et montrer que c’est ce qui fait la cohérence du groupe. »

La culture régénératrice n’est pas qu’une sorte de couche éthique qui se surajouterait à notre fonctionnement. Elle n’est pas que le ciment social du mouvement. Elle est déjà, vivante et vivace, comme à l’état de jeune pousse, le monde que nous voulons voir advenir, nous et les autres mouvements qui luttent pour des objectifs communs aux nôtres. Elle accompagne et se mêle aux aspirations des militant.es, et sert de tuteur à leurs rêves et à leurs indignations fécondes.


Pour Elicha, « On sait pourquoi on est tous là, au sein d’XR. Mais en GAVup, c’est le cran du dessus. On n’est pas juste des militant.es qui nous battons pour le même objectif. Il y a quelque chose de plus profond qui nous relie, il y a la certitude qu’on a besoin d’être là les un.es pour les autres, qu’on se tient dans la solidarité. C’est une des applications des imaginaires qu’on essaye de créer pour l’avenir. On ne se rend même pas compte à quel point c’est important. »

Malal évoque ce même aspect dans les termes suivants quand il explique pourquoi il s’est engagé au sein d’XR. « Ça a commencé sur un coup de tête, et je suis resté parce que j’ai tissé des relations avec des gens, parce que la désobéissance civile est efficace pour enrayer ce système mortifère, tout cela allié à la culture régénératrice qui transparaît dans toutes les relations qu’on a entre nous, et qui est extrêmement puissante chez XR. »

Nous ne pouvons pas conclure sans donner une dernière fois la parole à celles et ceux qui témoignent ici, justement sur ce qui les pousse à l’action, sur les fondements de leur engagement. Même si les mots pour le dire diffèrent, il est bouleversant d’entendre exprimer à chaque fois la même sincérité, la même exigence, la même determination, la même énergie. Quels que soient le parcours, la génération ou le caractère du ou de la rebelle interrogé.e.

D’abord, il y a cette prise de conscience de l’urgence et de la gravité de la situation. Qui toujours désole et souvent isole. Puis le soulagement de trouver d’autres personnes qui la partagent. Ainsi, pour Simadilu, « le sens plus global d’XR, c’est l’espoir que ça donne de penser, partager et vivre la même chose ensemble. Aujourd’hui, il n’y a plus que ça à faire: créer des choses en commun avec des personnes qui partagent la même émotion. » Et il poursuit : « Je n’ai pas choisi de gaieté de cœur de faire de la désobéissance civile nonviolente. J’ai 22 ans, j’aimerais bien profiter un peu plus de la vie, passer plus de temps avec mes potes, avoir une existence plus légère. Je ne suis pas là par plaisir, mais par nécessité, face à l’urgence écologique et climatique. L’enjeu n’est pas de sauver le monde, mais de sauver ce qu’on peut encore sauver. Nous héritons de plusieurs générations de militantisme, qui ont échoué à inverser la trajectoire. La désobéissance civile est moins un choix qu’une des dernières options. »


Lizzy emploie des termes encore plus forts. « Pour moi, c’est la dernière alternative. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre. On n’a plus le temps. La situation est très, très grave. » C’est le même désarroi qu’exprime Elicha, mais elle insiste aussi sur l’espoir gagné par le passage à l’action. « La désobéissance civile m’intéressait, j’étais désabusée des modes d’action inefficaces. Je me sentais très isolée, j’avais des questionnements, des angoisses, des réflexions que presque personne dans mon entourage ne partageait. Et pour ceux qui les partageaient, ça ne prenait pas autant de place que chez moi. La mise en action, ça fait du bien. Agir avec des gens avec qui partager cette angoisse. Si l’on est plusieurs à avoir peur de la même chose, et qu’on n’a pas l’air taré.es, on a moins peur, du coup. Et on peut envisager ensemble des façons de fonctionner différentes.

J’ai beaucoup plus d’espoir pour l’avenir maintenant que je n’en avais il y a un an, parce que j’ai rencontré des gens incroyables qui ont envie de faire des choses incroyables. C’est possible. »

Le ressenti de Benebo n’est pas très différent. « XR me rend meilleure et plus forte. Je rencontre de très jolies personnes. Je suis reconnaissante pour ce que les un.es et les autres m’apportent, j’ai beaucoup de tendresse pour plein de gens. Il faut qu’on poursuive, on a pas le choix. En plus de nos revendications, il faut aussi ouvrir les chakras des gens et leur apporter des choses positives.


Je crois beaucoup en l’être humain et en sa capacité à créer du beau et à être solidaire. On l’a vu avec le Covid, les gens sont spontanément et naturellement solidaires et généreux. À ces gens-là, il faut qu’on montre qu’un autre monde est possible, en commençant déjà par mieux fonctionner entre nous. »

Nous laisserons le mot de la fin à Simadilu : « Si pas maintenant, quand ? Et si pas toi, qui ? »

Don’t give up

You still have us

Don’t give up

We don’t need much of anything

Don’t give up

‘cause somewhere there’s a place

Where we belong

N’abandonne pas

Tu nous as toujours, nous

N’abandonne pas

On n’a pas besoin de tant de choses que ça

N’abandonne pas

Car quelque part, il y a un endroit

Où nous nous sentirons chez nous