Données économiques

Le transport aérien est un secteur dynamique, en croissance rapide. Selon l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, le nombre de passagers par kilomètre a augmenté de 81% entre 2009 et 2018.

Le trafic aérien augmente fortement année après année, tant en nombre de passagers transportés qu’en distance parcourue. Sur les 5 dernières années, le trafic mondial, en passagers par kilomètre a augmenté de 6,8%, soit un doublement tous les 10 ans.

Le trafic français a cru de 4,1% par an sur la même période, et a été multiplié par presque 5 depuis 1980 ( source INSEE in Rapport «Préparer l’avenir de l’aviation» Shit Project, 2020 (Source)) . En France en 2018, le nombre de passagers à augmenté de 5,1% par rapport à 2017 ( DGAC, les émissions gazeuses liées au trafic aérien en France en 2018, in rapport « Climat : 2pouvons nous (encore) prendre l’avion », BL évolution (Source)) .

Les perspectives d’évolution du trafic pour les prochaines décennies restent ambitieuses, l’association internationale de transport aérien évalue la croissance du nombre de passagers à 3,5% par an dans le monde sur les 20 prochaines années (soit un doublement à cet horizon) ( Communiqué n°62, IATA, octobre 2018 (Source)) .

En France, le consensus établi par le cabinet BL évolution à partir des données des acteurs du secteur, notamment ADP (Aéroports de Paris) est un scénario d’évolution à + 2,7% par an sur les 20 ans à venir.

XR sur les pistes d'Orly
XR sur les pistes de l'aéroport d'Orly le 26 juin 2020 (crédits Leah)

Impact climat

Impacts directs et indirects

La contribution du transport aérien au dérèglement climatique est importante. Le premier impact est l’émission de CO2 dû à la combustion de kérosène, les moteurs d’avion utilisant exclusivement des combustibles fossiles.

La combustion d’un litre de kérosène émet plus de 3kg de CO2. L’aviation civile émet au niveau mondial 1,1 milliard de tonnes de CO2 par an, soit 2,6% des 37 gigatonnes de CO2 d’origine fossile rejetées annuellement. Les émissions CO2 du transport aérien (aviation commerciale) en France ont été en 2018 de 22,7 millions de tonnes (+3,8% par rapport à 2017) et sont à 80% dues aux vols internationaux.

L’aviation a aussi des impacts hors CO2 sur le climat, ces impacts proviennent de l’émission à haute altitude de divers polluants et particules issus de la combustion incomplète du kérosène (NOx, suies, SOx, vapeur d’eau, etc.). Ils se traduisent par la formation de nuages d’altitude, une oxydation du méthane (effet refroidissant) et la formation d’ozone dans les basses couches de l’atmosphère (troposhère). L’impact le plus fort est généralement attribué aux contrails, des nuages d’altitude (cirrus) directement générés par les suies issues de la combustion du kérosène. Ces impacts ont un effet très fort sur le climat mais sont de courte durée. L’effet net de ces impacts a un pouvoir de réchauffement global à 100 ans (la métrique pour comparer les divers gaz à effet de serre) qui serait au moins équivalent à celui du CO2 émis directement. Il existe néanmoins une incertitude quant à la quantification exacte de ces effets.

Enfin, pour refléter l’impact total du secteur aérien, il conviendrait d’ajouter aux émissions directes des avions (en vol et en phase de roulage sur les aéroports) celles dues à la fabrication du kérosène et au fonctionnement des infrastructures aéroportuaires.

Multiplier l’impact du CO2 émis par l’aviation par un facteur 2 pour tenir compte des effets indirects ou non liés au CO2 semble faire consensus et relever d’une approche prudente ( C’est l’approche retenue par le rapport «Préparer l’avenir de l’aviation» (Shift Project), et celui «Climat : pouvons nous encore prendre l’avion» (BL évolution), sur la base de différents articles, notamment «Transport impacts on atmosphere and climate : Aviation», Atmospheric Environment 44, 2010. C’est également l’approche de l’ADEME. ) .

La contribution de l’aviation aux émissions de gaz à effet de serre varie fortement selon les hypothèses retenues. Pour la France, en tenant compte de tous les impacts liés aux phases amont, BL évolution retient le chiffre de 50 Mt CO2 équivalent (CO2e).

Dans son étude publiée en juillet 2020 BL évolution retient une part de 7,3% avec une approche empreinte carbone (toutes les émissions liées aux déplacements des ressortissants français, quelque soient les points de départ et d’arrivée, divisées par l’empreinte carbone totale de la France). Une estimation de l’impact de l’aviation, tous gaz à effet de serre (GES) pris en compte, en tenant compte de la moitié des vols internationaux à destination ou au départ de la France conduirait à un poids du secteur dans les émissions nationales de 10,2%. D’autres approches retiennent un chiffre plus bas (4,4% avec une approche CO2 seulement , mais avec une part des vols internationaux ( « Impact du transport aérien sur le climat : pourquoi il faut refaire les calculs », Aurélien Bigo, 8 mai 2019 (Source)) ). Une vision « minimaliste » (Commission des comptes des transports) retiendrait le chiffre de 0,8%, en excluant les impacts indirects, les impacts hors CO2 et tous les vols internationaux.

Une fourchette de 6-8% semble mieux rendre compte de l’impact de ce mode de transport dans le bilan des émissions nationales.

Comparaison avec les autres modes de transport ( Les données sont largement issues des calculs d’Aurélien Bigo (Source))

Rapportée au passager et au temps de déplacement, les émissions de GES engendrés par le transport aérien sont très supérieures à celles de n’importe quel autre moyen de transport.

Si l’on sen tient au seul CO2, et que l’on mesure les émissions rapportées au passager par kilomètre (un passager transporté sur 10 km équivaut à 10 passagers transportés sur 1km), l’aérien (128 gCO2/km) se situe à peu près au niveau d’un bus sur une courte distance (132 gCO2/km), en dessous d’une voiture sur une courte distance (177 gCO2/km) mais au-dessus d’une voiture particulière sur longue distance (105 gCO2/km). Il se situe très au-delà du train : en France, avec une électricité largement décarbonée, les émissions du ferroviaire sont estimées à 7,5 gCO2/km en moyenne, soit 17 fois moins qu’un trajet en avion.

Cette vision ne permet cependant pas de comparer correctement l’impact de l’aviation à celui des autres modes de transport. Pour prendre l’exemple de l’automobile, sur longue distance, le taux de remplissage des véhicules est supérieur à 2 passagers en moyenne par véhicule, ce qui revient à dire que l’avion émet ainsi 2,5 fois plus de CO2 que l’automobile par passager par kilomètre.

Ces comparaisons masquent toutefois le fait que l’avion est un accélérateur de mobilités : le transport aérien autorise des déplacement sur des distances très grandes, en un temps très court, ce que ne permettent pas les alternatives. Un trajet de 10h permet de se rendre de Paris à Nice en voiture (950 km) mais également de Roissy à Bangalore (9h15 de trajet pour 7 840 km à vol d’oiseau).

L’avion est utilisé pour des trajets longs (2 400km en moyenne) et le coût relativement bas de ce mode de transport permet des utilisations privées ou professionnelles inenvisageables avec d’autres moyens de transport (week-end à New York, allers-retours Paris-Shanghai sur 2j, etc.).

Une approche plus réaliste consisterait à comparer l’impact d’un déplacement en avion par heure de trajet (une heure de trajet en avion autorise des déplacements plus lointains mais avec une consommation de carburant plus élevée) ou par trajet (le trajet moyen en avion comme vu plus haut est commune mesure avec celui réalisé avec d’autres moyens de transport). Ainsi, « une heure en avion est 13 fois plus émettrice qu’une heure en voiture. Monter à bord d’un avion rendra votre trajet 125 fois plus émetteur en moyenne que de monter dans une voiture ; et plus de 1 500 fois plus émetteur que de monter dans un train… » (Aurélien Bigo).

XR sur la route d'accès de l'aéroport de Chambéry, le 15 février 2020
XR sur la route d'accès de l'aéroport de Chambéry, le 15 février 2020

Aviation et trajectoires bas carbone

Les objectifs de neutralité carbone

Les engagements de la France sur le climat définis par la loi de transition énergétique (LTECV - 2015) et précisés dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) se traduisent par la publication de budgets carbone quinquennaux et par des objectifs de réduction des émissions nationales de gaz à effet de serre, de -40% (par rapport à 1990) à l’horizon 2030 pour atteindre la neutralité carbone nette en 2050 (les émissions résiduelles étant compensées par des puits de carbone).

Ces objectifs s’inscrivent dans la suite du Grenelle de l’environnement et dans le cadre des engagements pris lors de la signature des accords de Paris (CoP21) et de la feuille de route de l’Union Européenne (neutralité carbone pour l’UE en 2050, adopté par le Conseil Européen en décembre 2019).

Pour la période 2019-2023, correspondant au 2ème budget carbone, les émissions nationales moyennes (brutes) sont projectées à 422 MtCO2e / an pour la France. Le secteur des transports représente 128 MtCO2e sur ce total, soit un tiers. Les transports sont le premier secteur émetteur de GES et également le premier secteur de consommation d’énergie finale, d’origine fossile à plus de 90% ( Projet de Stratégie nationale bas carbone, Ministère de la transition écologique, janvier 2020 ) .

Les objectifs de décarbonation du secteur des transports sont ambitieux, avec une projection de réduction des émissions de 28% en 2030 et de décarbonation complète en 2050. Il faut néanmoins noter que l’objectif de décarbonation en 2050 « ne tient pas compte des émissions résiduelles dues au transport aérien domestique ».

On peut aussi relever que le secteur aérien n’est quasiment pas abordé dans la SNBC, et que les pistes retenues relèvent d’anticipations hasardeuses et reposent fortement sur des ruptures technologiques dont rien ne permet d’affirmer qu’elles se matérialiseront : « Pour permettre de décarboner partiellement le transport aérien, il faudra atteindre des gains substantiels d’efficacité énergétique via la R&D, ainsi qu’une introduction massive de carburants alternatifs fortement décarbonés (50% de biocarburants en 2050 dans le scénario modélisé). Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de R&D pour disposer d’avions fonctionnant sans hydrocarbures, comme des avions à hydrogène ou des avions électriques ».

Enfin, seules les émissions nationales sont prises en compte dans les émissions du secteur aérien (contrairement aux recommandations du Haut Conseil pour le Climat), or les émissions nationales ne représentent que 21% des émissions du secteur aérien attribuables à la France selon les estimations TARMAAC ( Calculateur des émissions du secteur aérien, réalisé par la DGAC. Prise en compte du trafic domestique et de 50% des vols internationaux (Source)) .

Photo des rebelles bloquant l'aéroport
Des rebelles bloquant l'aéroport d'Annecy le 12 sept. 2020

Quelles mesures d’atténuation et quelles stratégies adopter pour mettre en cohérence le secteur aérien et les politiques bas carbone ?

Des contributions récentes analysent les différentes voies permettant de décarboner le secteur du transport aérien.

Le rapport du Shift Project étudie de manière approfondie les mesures à court et à moyen terme permettant de limiter l’impact de l’aérien.

BL évolution reprend certaines de ces mesures et dresse sept scénarios possibles d’évoglution, en fonction des principaux paramètres modélisant le secteur selon des données économiques (nombre de passagers total, nombre de passagers par avion, distance moyenne par vol) et techniques (consommation moyenne par vol, émissions du kérosène, impacts CO2 amont et impacts liés aux contrails). Ils mettent en regard les objectifs atteints grâce à ces scénarios et ceux publiés par la France dans la SNBC.

Enfin, les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat pour le secteur des transports insistent sur la nécessité de « limiter les effets néfastes du transport aérien ». Cet objectif est décliné en cinq propositions, portant sur la fiscalité, l’offre (interdiction de certains vols intérieurs et de l’extension des infrastructures existantes) ainsi que les mécanismes de compensation et la R&D dans les biocarburants.

Les mesures d’atténuation du Shift Project reposent sur des modifications d’usage :

  • limitation de l’usage des réacteurs en dehors des phases de vol ;
  • remplacement d’une partie de la flotte équipe de turboréacteurs par des appareils équipés de turbopropulseurs (hélices) ;
  • optimisation des trajectoires de vols ;
  • restrictions quant aux emports de carburant (les compagnies optimisent leurs chargements de carburant selon les prix pratiqués par les aéroports où elles opèrent) ;

Le poids de ces mesures étant relativement faible, des mesures plus structurelles sont proposées :

  • suppression de certaines liaisons domestiques, dans la lignée des propositions de lois soumises à l’assemblée nationale (Proposition n°2005, juin 2019 sur l’interdiction de certains vols intérieurs mais aussi proposition n°3164 portant sur des quotas carbone individuels). Cette mesure a été très partiellement reprise par le gouvernement en contrepartie de sa contribution au plan de sauvetage d’Air France (limitation de certains vols lorsqu’une alternative d’une durée de moins de 2h30 existe) ;
  • Restrictions sévères appliquées à l’aviation civile ;
  • Suppression des programmes de fidélité des compagnies aériennes (miles) ;
  • Augmentation de l’emport moyen (suppression des classes affaires et business) et des taux de remplissage ;
  • Mise en œuvre d’efforts de R&D pour développer un modèle d’avion mieux adapté aux exigences environnementales ;
  • Réorientation des investissements du secteur vers le transport ferroviaire ;

Les évolutions techniques souvent mises en avant par les promoteurs de ce mode de transport sont loin d’avoir atteint le niveau de maturité requis pour garantir une évolution suffisant en termes d’impact climat.

Les agrocarburants sont une réponse très imparfaite, en raison d’une part de la concurrence avec des usages alimentaires pour les surfaces concernées, d’autre part en raison de leur bilan net, selon l’impact qu’ils génèrent sur les usages des sols. Les biocarburants de deuxième génération (à base de déchets agricoles) posent eux aussi des problèmes de concurrence sur l’usage, leur utilisation étant déjà inscrite dans les objectifs de décarbonation des transports (matériels agricoles, camions et maritime par exemple). Enfin, leurs caractéristiques font qu’ils ne peuvent être entièrement substitués au kérosène et ne représentent qu’une part maximale de 50% des carburants consommés.

Le kérosène de synthèse, extrait à partir de CO2 en utilisant de l’hydrogène, techniquement possible à petite échelle, souffre d’un très mauvais rendement et est en phase expérimentale. Il n’est de plus pas utilisable par les moteurs existants.

L’hydrogène fréquemment mis en avant, pose des problèmes techniques et économiques considérables : la production par électrolyse a un rendement faible et nécessite des puissances électriques installées importantes, le stockage est délicat en raison de la faible taille des molécules d’hydrogène, etc.

L’avion électrique enfin, pose des problèmes insolubles actuellement si on veut l’adapter à l’avion commerciale, en raison essentiellement du poids des batteries. La seule possibilité peut-être envisageable à moyen terme (20 ans) serait de développer cette technologie pour avions court courrier, ceux là même dont on réclame l’interdiction et le remplacement par des transports ferroviaires.

Une seule voie, la sobriété

Le chiffrage détaillé des mesures évoquées plus haut montre que des ajustements techniques seuls ne permettent absolument pas d’atteindre les objectifs de neutralité carbone du secteur.

De manière très éclairante, parmi les scénarios étudiés dans le rapport de BL évolution, le seul scénario permettant de se rapprocher des engagements de la SNBC et des objectifs de l’Union Européenne table sur une division par deux du nombre de passagers à l’horizon 2050 (-1,9% par an jusqu’à cette date), avec une augmentation considérable de l’emport moyen (+56%), un allongement des distances de vol et des améliorations techniques raisonnées (augmentation de la part des biocarburants, réduction des consommation moyennes). Il faut noter que les résultats de ce scénario restent très éloignés de ce qui serait nécessaire pour se situer dans le cadre des Accords de Paris (i.e. se rapprocher au maximum d’une augmentation moyenne de la température globale limitée à +1.5°C).

La voie de l’efficacité, même si elle doit être poursuivie, ne permet que des gains marginaux. Il est probable que ces gains seraient compensés par des effets rebond, par ailleurs déjà inscrits dans les projections d’évolution du trafic annoncées par les acteurs du secteur.

La voie des renouvelables est aussi une impasse sur l’horizon de temps sur lequel il faut agir et ne permet pas d’envisager une aviation « propre » à l’horizon 2050.

Seule une politique très volontariste de réduction de l’offre et donc une politique de sobriété ambitieuse est à même de répondre aux objectifs de neutralité du secteur.

Références