Si tu es chez « XR » depuis plus de deux semaines, il est peu probable que tu n’aies pas déjà entendu parler de la « communication non violente ». Si tu es chez XR depuis plus de trois mois, il est peu probable que tu n’aies pas déjà l’impression de t’y connaître, au moins un peu. Et si tu es chez XR depuis plus de six mois, tu l’as probablement déjà entendu critiquer… Mais qu’en sais-tu au juste ? Qu’il s’agit d’une manière de formater son discours, en particulier dans les dialogues où des désaccords apparaissent, qui garantirait une bonne tenue des échanges, et éviterait que des noms d’oiseau fusent, ou que le fameux point Godwin (où des parallèles bien peu constructifs commencent à poindre entre les idées que l’on combat, et les pires atrocités du XXe siècle) soit atteint trop rapidement ? Que cette méthode assurerait que personne n’en sorte blessé.e, découragé.e ou amer.e, et maintiendrait sur le long terme la motivation et la cohésion des rebelles ?

Et bien, la communication non violente, ça peut effectivement servir à ça. Mais c’est surtout beaucoup plus que ça. La communication non violente, c’est une manière d’appréhender la vie et d’utiliser le langage permettant de vivre pleinement sa relation à soi et aux autres. En fait, la communication non violente n’est pas une méthode de communication. C’est une philosophie de vie. Un art. Mais un art difficile à pratiquer, exigeant. Attention aux personnes qui vous le vendent comme une technique simple et universelle, une panacée. Car, quand la CNV est réduite à une simple méthode de communication, elle perd son âme et devient une vulgaire supercherie de plus, potentiellement sournoise et hypocrite, voire dangereuse, propice à servir les pires manipulations, en particulier celles qu’on s’inflige à soi-même.

Cet article est principalement basé sur l’ouvrage traduit en français sous le titre Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Initiation à la Communication Non violente, de Marshall B. Rosenberg, paru aux éditions La Découverte. L’auteur de cet ouvrage a mis au point la Communication Non violente dans les années 1960. Il n’a ensuite eu de cesse, toute sa vie durant, d’y former des milliers de personnes dans toutes sortes de contextes : médecine, éducation, politique, couples, familles… avec souvent des résultats assez impressionnants en termes de résolution de conflits.


« Ah bon, je suis violent, moi ? »

« L’esprit conscient qui prend le pas sur le souffle vital : voilà ce que c’est que la violence. » (Lao Tseu, Le Livre de la Voie et de la Vertu, chap. 55)

La CNV, en tant que chemin de transformation intérieure, exige un travail sur soi radical. En CNV, tout part de l’intention. Du fond de notre être. C’est de là que certaines personnes tirent la force d’aller vers les autres, fussent-iels leurs bourreaux, tandis que d’autres, coupé.es de leur richesse intérieure, semblent incapables d’empathie, fût-ce avec leurs proches. La définition de la CNV donnée par Rosenberg est la suivante : « un mode de communication — d’expression et d’écoute — qui favorise l’élan du cœur et nous relie à nous-mêmes et aux autres, en donnant libre cours à notre bienveillance naturelle ».

Pour commencer, que vient faire le mot « violence » là-dedans, même si c’est par la négative ? La CNV part du principe que les actes qu’on peut qualifier de la manière la plus évidente de violents, en particulier les violences physiques, ont leur racine dans le langage que nous employons en nous-mêmes ou entre nous. Lorsque celui-ci sert à former des jugements s’appuyant sur les notions de bien et de mal, de juste et d’injuste, de vrai ou de faux, de qui a raison et qui a tort, de qui est méritant.e et qui est fautif.ve, les graines de la violence sont semées. En effet, ce type de jugements implique que quelqu’un se place en position de décider ce qui est bien et ce qui est mal, qui plus est pour les autres. Ce quelqu’un peut être une autorité extérieure, État, religion, qui peut s’appuyer opportunément sur ce mode de pensée pour se légitimer en tant qu’autorité. Ce quelqu’un peut être un individu : parent, professeur.e, patron.ne, responsable politique, etc. Mais dans tous les cas, une fois admis la légitimité de ce quelqu’un à faire référence, découle naturellement son droit à récompenser et à punir, qui sont les deux faces de la même pièce. Une autorité ainsi fondée punit celles et ceux qui agissent prétendument « mal » parfois même « pour leur bien », pour les remettre dans le prétendu droit chemin — par l’usage de la force s’il le faut. Ainsi, la CNV participe à déconstruire les liens de domination, et en ce sens est proprement révolutionnaire.

Mais alors comment communiquer, comment penser même tout court, sans juger, sans se juger, sans juger les autres ? Combien de jugements de ce type ne nous parcourent-ils pas tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes ? « Celui-là a l’air d’un type bien », « celle-là a mal fait d’agir ainsi », « zut, je me suis trompé », « tu es vraiment méritante… » De quoi tisser la trame de la grande majorité de ce qui nous passe par la tête, en fait ! Oui, la CNV est radicale, au sens où elle repart de la racine de notre être pour nous aider à nous transformer.

Mais, toute radicale qu’elle soit, rien de neuf sous le soleil, ses principes rejoignent ceux des grands courants spirituels millénaires. Si nos pensées, nos paroles et nos actes sont expurgés de tout jugement moralisateur, qu’expriment-ils donc ? Ils expriment notre volonté naturelle de rendre la vie, la nôtre et celles des autres, plus riche et plus belle. Marshall Rosenberg nomme « énergie divine d’amour » (sans jamais en faire un concept théorique ou mystique) cette force très concrète, physique presque, qui, présente à chaque instant pourvu qu’on s’en aperçoive et la laisse se manifester, nous relie à nous-mêmes et aux autres et nous pousse à l’embellissement de la vie. La CNV n’est finalement qu’un moyen de s’obliger à aller dans la direction qui est la plus bénéfique pour la satisfaction de ses besoins profonds et ceux des autres, et à éviter les voies destructrices et contre-productives.

Cependant, la CNV n’exclut pas tout type de jugement. Elle bannit les jugements moralisateurs, mais elle encourage à l’inverse les jugements de valeur. Il est très différent de dire « je désapprouve telle personne ou telle action parce qu’elle ne me semble pas généreuse » (jugement moralisateur) et « j’apprécie la générosité » (jugement de valeur). Les jugements de valeur font état de ce qui nous semble important pour servir au mieux ce qui est vivant en nous et chez les autres. Ils ne pointent pas de défaillance chez soi ni chez les autres, contrairement aux jugements moralisateurs. La CNV n’est pas un moyen édulcoré de s’exprimer, au contraire elle encourage l’affirmation de soi — pas du petit soi individualiste qui a besoin de juger les autres pour se sentir exister, mais du grand soi qui est un reflet particulier de cette même lumière de vie qui nous traverse tous et toutes.