Pandémies et catastrophes éco-climatiques

épisode 4/4 : Paroles de lanceurs d’alerte et d’oublié.e.s

La crise sanitaire que nous traversons actuellement est à la fois la conséquence et le révélateur des dysfonctionnements et du caractère non-soutenable de nos sociétés. L’objectif de ce texte est d’analyser les épidémies apparues ces dernières années sous le prisme environnemental et de révéler ainsi que la pandémie actuelle n’est finalement ni accidentelle, ni imprévisible.

Nos pratiques pour nous alimenter, aussi bien l’agriculture intensive, la destruction de forêts ou le braconnage, multiplient les contacts entre espèces sauvages ou domestiques et l’être humain. Or la transmission des épidémies est une question de probabilité… Ainsi, nous favorisons l’émergence de nouvelles épidémies.

L’Histoire nous montre qu’elles sont de plus en plus fréquentes (1).

La mondialisation, avec une connectivité sans précédent dans l’histoire, permet le déplacement des personnes et des marchandises accentuant de manière incontrôlable la dispersion des germes. Nous donnons ainsi la possibilité aux épidémies de se propager et de devenir des pandémies. De plus, la pollution de l’air, la sédentarité et une alimentation déséquilibrée fragilisent nos organismes, augmentant ainsi le nombre de formes graves de certaines infections. Nos modes de vie inconséquents ont contribué à la propagation du COVID-19 et à l’aggravation de ses effets, nous obligeant au final à nous confiner.

À cela s’ajoute le dérèglement climatique, qui risque de ramener à la surface des virus ou des bactéries enfouis depuis des milliers d’années, et la perte de la biodiversité qui nous rend plus sujets à attraper certaines maladies. Ces catastrophes risquent d’être à l’origine d’épidémies voire pandémies plus fréquentes et de plus en plus difficiles à traiter.

Pour le philosophe botaniste Emanuele Coccia, le coronavirus nous rappelle que si l’humain est spécial, il n’est pas exceptionnel. Cela “casse notre étrange narcissisme” face à la destruction de la planète, notre sentiment de puissance face aux autres êtres vivants. Nous détruisons les conditions de vie sur la planète. Et la nature nous rappelle qu’elle aussi peut nous atteindre.


Nous aimerions maintenant prendre le temps de laisser la parole aux lanceurs d’alertes, ces hommes et ces femmes de divers métiers, scientifiques, journalistes ou autres. Ces personnes prennent la parole pour nous permettre de comprendre, et nous poussent à l’action. Nous, membres d’Extinction Rébellion, voulons ici leur rendre hommage et contribuer à mettre leurs mots en actes.

“Nous allons être amenés à rencontrer de nouveaux virus. Il faut aujourd’hui considérer les questions environnementales, le réchauffement climatique et la perte de biodiversité comme un seul et même problème. Il faut prendre enfin conscience que la santé de l’Homme dépend intégralement de celle de son environnement” souligne Mylène Ogliastro, Chercheuse à l’INRA Montpellier et membre de l’Association Française de Virologie (47).

“Les émergences de zoonoses ne sont pas nouvelles à l’échelle de l’humanité. Elles remontent à plusieurs milliers d’années, lorsque l’homme a commencé à modifier son environnement et ses interactions avec les autres espèces, notamment à travers la domestication animale. La pression exercée sur notre environnement et sur la biodiversité n’a cependant jamais été aussi intense. Il est donc peu probable que l’émergence du Sars-Cov-2 soit la dernière catastrophe et il est temps de réfléchir à de nouvelles stratégies pour faire face à cette double crise, sanitaire et environnementale. Tous les citoyens doivent prendre conscience des liens étroits qui existent entre nos activités, nos modes de consommation, l’impact sur notre environnement et les problèmes sanitaires. Nous devons travailler à la mise en place d’autres logiques économiques et de développement, où la santé humaine et la santé environnementale ne sont pas opposables”, selon Camille Lebarbenchon, enseignant-chercheur à l’Université de La Réunion au laboratoire “Processus infectieux en milieu insulaire et tropical”. Cette position est partagée par Inger Andersen, directrice générale de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) jusqu’en 2019, actuelle chef du Programme des Nations Unies pour l’Evironnement (19) : “Il y a trop de pressions en même temps sur nos systèmes naturels et quelque chose doit changer, (…) nous sommes intimement liés à la nature, que cela nous plaise ou non. Si nous ne prenons pas soin de la nature, nous ne pouvons pas prendre soin de nous-mêmes. Et alors que nous nous précipitons vers une population de 10 milliards d’habitants sur cette planète, nous devons entrer dans cet avenir armé de la nature comme notre plus puissant allié”.

« Le désastre du COVID-19 est le produit d’un système. Et il ne faut pas qu’il reprenne de la même manière. Que ce soit ce système économique de destruction des écosystèmes, de déforestation, d’urbanisation généralisée et d’avions que plein de gens prennent sans arrêt, et qui ont contribué à propager le virus partout. Au point qu’on parle de métropandémie. Cela désigne le fait que en des endroits très différents du globe, et de manière simultanée, une même pathologie se développe. Parce que en fait le virus, l’agent pathogène, est transporté et mis en circulation par le trafic aérien, par les passagers. Mais aussi le système politique néo-managérial qui depuis 10 ans oblige les hôpitaux publics à faire des économies, à couper sur leurs budgets, à déstocker les masques […]. Ce système-là, il ne faut pas qu’il reprenne. Il faut que cette douleur se transforme en colère et en volonté de changer ce système. Est-ce que ça va marcher, je n’en sais rien […], mais des formes d’auto-organisation se mettent en place » Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart (48)

La vérité n’appartient pas seulement aux scientifiques, mais à chacun.e d’entre nous. C’est pourquoi nous souhaitons également donner la parole aux oublié.e.s, nous sommes toustes touché.e.s; mais pas de manière égale. Cette crise exacerbe les inégalités, le corps médical est en première ligne et derrière lui, c’est tous les travailleurs des métiers essentiels qui oeuvrent ; derrière les malades, nombreuses sont les victimes de la gestion de cette crise. Nous n’oublions pas les oublié.e.s de la Guyanne, les oublié.e.s du système en général, les invisibles (ceux et celles qui sont en deuxième ligne), les sans-papiers, les détenus, les personnes dans des centres de rétention, les personnes qui sont confinées dans des tout petits logements, parfois insalubres, les occupant.e.s de la Dune délogé.e.s, toustes les victimes directes et indirectes.

Pour Axelle Brodiez-Dolmo, historienne de la pauvreté-précarité, de la fondation IMéRA Université d’Aix-Marseille (49) par exemple, « ceux qui occupent le bas de l’échelle sont bien plus durement frappés. Car ils cumulent, par effet boule-de-neige, les vulnérabilités : de revenu, de logement, de santé ; et dans cette mécanique mal huilée, « un petit coup renverse aussitôt la personne […] comment respecter la distance sociale et l’hygiène nécessaires quand on vit en bidonville ou en squat ? Comment survivre quand les aides habituelles ont fermé ? Comment supporter des semaines de confinement et perpétuer un semblant de scolarisation dans un logement étroit, insalubre et surpeuplé ? » Conversation, Axelle Brodiez-Dolmo.

Un professeur des écoles en Guyane (50) alerte également : “Chers amis de l’hexagone […] côté santé je vais bien mais je suis inquiet pour l’avenir des Guyanais, quand on habite ici, les chiffres font parfois froid dans le dos […] la Guyane compte au mieux une trentaine de lits de réanimation pour plus de 280 000 habitants […] habituellement en Guyane le corps médical est déjà sous tension […] en Guyane et dans les îles principales[…], l’habitat spontané est présent, les bidonvilles existent. Je pense souvent à ces personnes vivant dans des zones insalubres où le confinement doit être difficile voire impossible tant la promiscuité avec son voisin est obligatoire, je pense aux infirmières libérales travaillant au sein de ces bidonvilles, sans eau courante pour se laver les mains, il faut un courage immense pour continuer à exercer ce métier au sein de ces zones où l’accès à l’hygiène est difficile”.

Écoutons aussi cet habitant de Romans-sur-Isère, qui témoigne : “En tous cas, pour celles et ceux [les Soudanais et Soudanaises à Romans] qui viennent d’un tel pays [le Soudan], qui ont subi le pire, ’Covid’, on peut pas vraiment imaginer ce que ça veut dire. À part que tout a concrètement changé : ils ne peuvent plus aller respirer dehors. Vous pensez qu’ils ont une famille avec qui faire Skype dans leur jardin ? Le virus, c’est un machin qui prive de soleil et rend tout le monde bizarre. Peut-être que quand on est déjà un peu mort au fond de soi, il en faut pas beaucoup plus pour éclater. Sur les bancs, les autres galériens savent très bien que ça aurait pu être un autre, peut-être même eux. Sauf s’ils ont assez de papiers pour avoir accès à ce qu’on appelle des soins, en psychiatrie, ou ce qu’il en reste. Pas besoin de l’amener à la police anti-terroriste, ici on sait très bien que la souffrance et la folie n’ont ni pays d’origine, ni religion” (51).

Le cas des roms et des gens du voyage est tout aussi préoccupant, comme le rapportent Grace Leplat avec Clément Bargain, journalistes à Sud Radio : “On s’inquiète de la grande précarité des familles, de leur accès à l’eau et aussi de leur situation sanitaire. (…) Aux Arcs-sur-Argens, 15 familles n’ont plus d’eau depuis 10 jours(…) Un confinement dans une caravane c’est pas du tout la même chose que dans un appartement ou une maison”, explique Willian Acker [qui] est voyageur. Et Clémentine Sinquin complète : “Des personnes ont perdu 95% de leurs revenus à cause de l’arrêt de la mendicité et des activités comme le glanage, la revente aux marchés…“ (52).

Et enfin, le journal Le Monde évoque “Une bombe sanitaire à désamorcer d’urgence”, en relayant le communiqué daté du 5 avril, par lequel un collectif de soutien aux résidents, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), alerte à propos d’un foyer officieux, plus proche du squat, occupé par des travailleurs maliens. “Dans ce hangar de 700 m2, 270 sans-papiers vivent dans une promiscuité totale : 110 lits superposés, disposés à touche-touche, où les résidents sont censés rester confinés, et des conditions sanitaires déplorables – cinq toilettes, une douche, un seul cumulus d’eau chaude de 300 litres…” (53).

Fin de la série !

Article rédigé par le groupe Recherche et Systémique XR France

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[1] Article “Les épidémies les plus meurtrières de l’histoire

[ 19] Article du Guardian, D Carrington, 25 mars 2020 “Coronavirus : “Nature is sending us a message” said UN environment chief”

[47] Interview Mylène Ogliastro INRA et Association Française de Virologie, France 3 Occitanie

[48] Interview de Jade Lindgaard : “Que peut-on faire politiquement de ce désastre ?”, podcast Présages

[49] En situation de crise, quid des plus démunis ? The Converstation, 8 avril 2020

[50] Ludivine Sagnier & Tido Berman : Les oubliés de la Guyane - Clique à la Maison

[51] “Et si c’était lui qui avait pété les plombs ?” témoignage depuis Romans-sur-Isère

[52] Coronavirus - Gens du voyage et Rom : “Certains ont perdu 95 % de leurs revenus et n’ont plus accès à l’eau et l’électricité” par Grace Leplat avec Clément Bargain, jeudi 2 avril 2020

[53] “Coronavirus : la crainte d’une contamination rapide dans les squats et foyers de travailleurs” article publlié dans Le Monde par Isabelle Rey-Lefebvre et Julia Pascual Publié le 11 avril 2020