À la Clusaz, station de sports d’hiver perchée au cœur des Aravis en Haute-Savoie, les élu⋅es ont une nouvelle idée lumineuse pour maintenir sous perfusion l’industrie du tout-ski : creuser une retenue collinaire. Un trou de 148 000 m³ dans la montagne, d’une surface au sol de 5 terrains de foot, soit l’équivalent de 60 piscines olympiques. Pour la remplir, le projet consiste, dans un premier temps, à capter les ruissellements d’eau, avec le risque d’assécher la tourbière remarquable de Beauregard. Et comme cela ne suffira pas à remplir cet immense cratère, il est prévu de pomper l’eau directement à la source de la Gonière, située 3,5 km en contrebas, ce qui suggère le déploiement d’un réseau de canalisations enterrées pour acheminer l’eau jusqu’à la retenue. À l’air libre, celle-ci est destinée à croupir, et si elle ne s’est pas évaporée en raison des températures toujours plus douces, on l’injectera dans des canons à neige pour blanchir une montagne qui s’obstine à faire fondre la précieuse poudreuse !

Le tout-ski à tout prix

Et ce en quel nom ? Celui du ski à tout prix, pardi ! Même si le réchauffement climatique est déjà visible depuis longtemps en montagne, il est encore trop tôt, selon le maire de la Clusaz, pour penser à une transition. Maintenir cette industrie sous perfusion pendant encore 30 longues années, être compétitif⋅ves, voilà les objectifs défendus par le “plan montagne II” de Laurent Wauquiez. Une politique prédatrice des ressources naturelles illustrée par le programme “100 retenues pour la région”, action phare de la stratégie eau-air-sol du préfet de région, qui apsire à terminer une centaine de projets similaires dans les Alpes avant le 31 décembre 2022. Entre les “plans monatgnes” et les aides d’urgences accodées l’hiver dernier, c’est près de 600 millions d’euros d’argent public qui sont destinés à maintenir coûte que coûte le monde d’avant.

Malgré 76% d’avis négatifs sur l’enquête publique, le positionnement de la Mission Régionale d’Autorité Environnementale et de personnalités publiques, de sportif⋅ves et de scientifiques contre le projet, malgré une pétition à 51 000 signatures, le conseil municipal s’assied sciemment sur la démocratie, et valide le projet.

Photomontage du projet de retenue collinaire (crédit : Pierre Tardivel)

Biodiversité, mon amour

À la Clusaz, l’impact dévastateur sur la biodiversité ne fait aucun doute : défrichement de 8 hectares de terres, risque d’assèchement sur le long terme de la précieuse tourbière de Beauregard, extermination d’espèces protégées, mise en péril de zones humides, etc. En toute connaissance de cause, la préfecture est sur le point d’accorder une “dérogation pour destruction d’espèces et d’habitat protégés”. Ce sont 58 espèces animales protégées qui sont concernées par la demande de dérogation : 2 espèces d’amphibiens, 4 espèces de reptiles, 33 espèces d’oiseaux, 1 espèce de mammifère. La chevêchette d’Europe, le triton alpestre, l’azuré des paluds et tant d’autres sont sacrifiées sur l’autel du cynisme des autorités. À la municipalité de la Clusaz, enlisée dans une forme de déni, on ne se rend pas compte que détruire les écosystèmes nous retombera dessus, et ce plutôt tôt que tard.

Tourbière du plateau de Beauregard menacée de destruction

De plus, les tourbières sont des zones humides d’une valeur inestimable de par leur rôle régulateur : elles filtrent ou stockent l’eau, ralentissent son écoulement et constituent des réservoirs naturels d’eau potable. Elles créent des microclimats frais, réduisent l’importance des crues et limitent l’érosion en montagne en stabilisant les sols. Les tourbières ne couvrent que 3 % de la surface terrestre, mais stockent le carbone presque autant que l’atmosphère terrestre et deux fois plus que les forêts (qui couvrent 30% de la surface terrestre). Détruire la tourbière du plateau de Beauregard, c’est s(k)cier la branche sur laquelle on est assis⋅es.

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Exemple de mutilation de la montagne par retenue collinaire à Courchevel

Danger hydrique

Selon l’association de protection de la montagne Mountain Wilderness, l’enneigement artificiel nécessite en moyenne 4 000 m3 d’eau à l’hectare : un volume gigantesque quand on sait que la station souhaite faire faire passer la part de son domaine skiable recouvert par la neige de culture de 27% à 45%, soit 33 hectares de pistes artificielles supplémentaires. En plus de gaspiller des quantités d’eau pharamineuses, le fonctionnement de la retenue perturbera localement son cycle en asséchant le Nom, qui se jette dans le Fier, qui lui-même se jette dans le Rhône. Loin de toucher seulement les habitant⋅es de la région, le projet a un impact systémique dont il est difficile de mesurer l’ampleur.

Une gestion irresponsable des ressources en eau qui rappelle les méga-bassines dénoncées par Extinction Rebellion Poitiers et Les Soulèvements De La Terre ! Le principe reste le même : privatiser la ressource en eau sous couvert de “gestion responsable” avant de la redistribuer de manière injuste et inégale aux plus offrants, tantôt à l’industrie du ski dans les Alpes, tantôt à l’agro-industrie dans les Marais Poitevins. Pour les politiques actuelles, la ligne de conduite est soigner le mal par le mal : pour répondre aux futures sécheresses, on perturbe encore davantage le cycle de l’eau - en ignorant des solutions qui pourraient réellement répondre à ce risque de manque d’eau potable. 

Bois de la Colombière sur le plateau de Beauregard VS travaux sur la retenue collinaire de la Feclaz (crédit : collectif Sauvons Beauregard)

Arbres centenaires contre capitalisme mortifère

Plus qu’un projet isolé et illusoire, cette fuite en avant est symptomatique d’un système dans le déni, qui refuse de voir que l’on a changé d’époque. Que les solutions d’hier sont les non-sens d’aujourd’hui et les calvaires de demain. Parce qu’on ne finance pas la transition du ski en investissant toujours plus dans le ski, il est temps de prendre des décisions responsables qui laissent aux générations présentes et futures une chance de vivre la montagne dignement.

Dans cent ans, la vraie richesse ne sera pas les pistes que nous avons construites, mais la montagne que nous avons laissée intacte.

Paolo Cognetti, écrivain italien

La “réalité économique” n’existe pas. La réalité, c’est le monde vivant qui se meurt au nom d’une idéologie abstraite et contractuelle. Ce n’est pas au réel de s’adapter aux besoins de nos croyances capitalistes. Il est insensé de vouloir à tout prix modifier la nature pour que celle-ci réponde à des besoins irrationnels de plus en plus destructeurs. Quand le remède est pire que le mal, il est temps de s’attaquer à la racine du problème.

Extinction Rebellion Annecy, main dans la main avec les organisations locales, entend bien empêcher les tronçonneuses assassines et les pelleteuses criminelles de s’en prendre à ce sanctuaire de la biodiversité. Au nom de l’amour, au nom de la rage, pour la beauté des arbres et la puissance du vivant, nous lutterons pour un changement radical de système !

Blocage du chemin d’accès au milieu menacé, 15 novembre (crédit : Antoine Mesnage)

NOUS SOMMES LA NATURE QUI SE DÉFEND

Le lundi 15 novembre, nous avons bloqué le chemin d’accès au chantier. Cet accès de quelques centaines de mètres doit être élargi et les arbres le bordant détruits. L’action visait à ouvrir le bal de la résistance physique au projet, avec un message clair : nous opposerons nos corps au passage des machines !

Pendant deux semaines, nous avons occupé joyeusement l’entrée du bois avec quelques hamacs haut-perchés dans les majestueux épicéas. Des arbres ont été piégés pour dissuader les premiers coups de tronçonneuse, et laisser le temps à la résistance de s’organiser. Le dimanche, nous avons pique-niqué pour profiter de moments d’échanges entre les militant⋅es des différentes organisations, les locaux⋅ales, les curieux⋅euses, et toutes les personnes qui, de près ou de loin, nous apportent leur précieux soutien. Venant du village de la Clusaz, de la région, de Marseille, de Poitiers ou bien d’Allemagne et de Suisse, l’élan de solidarité qui a déferlé sur l’occupation témoigne du caractère à la fois local et universel de la lutte. Une lutte qui s’est vue nourrie par un réseau militant riche de sa diversité, résilient.

Puisque les humains semblent avoir quelques difficultés à entendre les messages de la nature, nous lui avons prêté une voix qui sera peut-être plus audible !

À partir du 30 novembre, les travaux de déboisement sont reportés en raison du nichage des chauves-souris protégées dans le bois. Nous avons tenu bon pour offrir à ces lieux jusqu’à une année de répit.

Au delà de la résistance matérielle, l’armada juridique est déployée pour ranger définitivement ce projet dans les tiroirs de l’administration. Au moins quatre recours prometteurs vont être portés par des associations telles que FNE, à l’initiative des collectifs locaux. Pour ce faire, elles et ils s’attèlent à lever 30 000 euros via leur cagnotte : n’hésitez pas à y contribuer ! Si ce projet venait à être abandonné, cela aurait probablement un retentissement important quant aux autres projets de retenues collinaires en faisant jurisprudence. Cela servirait aussi à la construction d’imaginaires de réussite et de victoire par la convergence des tactiques. 

Au bois de la Colombière, la lutte peut-être gagnée ! En alliant recours juridiques et désobéissance civile, nous défendons efficacement un lieu magnifique, magique, encore intact, connecté au vivant menacé et qui mérite d’être préservé. 

Nous nous battrons pour cela, nous resterons sur le site le temps qu’il faudra puis nous reviendrons encore et encore et maintiendrons l’occupation jusqu’à abandon du projet !

Occupation nuit et jour dans les hamacs avec l’aide précieuse de Save The Cèdres, qui protègent des cèdres centenaires menacés à Thonon

NI ICI, NI AILLEURS

La protection du bois de la Colombière recouvre aussi une dimension symbolique importante : en nous opposant à ce projet, nous nous opposons au plan montagne II de Laurent Wauquiez et aux 100 retenues collinaires supplémentaires prévues dans les Alpes d’ici fin 2022. À ce stade, on peut légitimement se demander à quel point l’ambition, avouée par quelques-un⋅es, de faire de la région le terrain des Jeux Olympiques d’hiver à l’horizon 2030, impacte les politiques publiques. La mise en œuvre de ces projets destructeurs (on pense également aux méga-bassines, sortes de retenues collinaires des plaines) touche aux enjeux cruciaux de la décennie tels que la gestion de l’eau et des terres agricoles. Et il est urgent de les penser sur un temps beaucoup plus long que celui d’une carrière politique.

Loin d’être des initiatives isolées, ces dizaines de retenues sont liées entre-elles et s’inscrivent dans un plan plus vaste de privatisation de la ressource par les puissants. Ces projets ne servent pas le bien commun : en premier lieu, ils servent toujous le bénéfice d’une industrie, et c’est le maintien de cette industrie à tout prix, le maintien de ses revenus exceptionnels (7 milliards pour le ski français), qui motive, in fine, la destruction de la nature ! S’opposer à la retenue collinaire du bois de la Colombière, c’est protéger un refuge de biodiversité à la valeur intrinsèque inestimable, mais c’est aussi s’opposer aux conséquences négatives qu’engendrerait son fonctionnement et à toutes les artificialisations induites qui permettraient sa rentabilité et justifieraient sa raison d’être. S’opposer à la retenue collinaire, c’est s’opposer à un système capitaliste mortifère en guerre contre le vivant.

Non aux retenues collinaires, ni ici, ni ailleurs !

Au premier plan : bois de la Colombière menacé de destruction; en arrière plan : le Mont Blanc et les Alpes, elles aussi menacées par de nombreux projets de retenue collinaire

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