Total : La Grande Manipulation
« Total devient TotalEnergies », « Total passe au vert », « Total se dote d’une nouvelle Ambition Climat »… Des phrases accrocheuses jetées à tout bout de champ, entonnées à tu-tête pendant la dernière Assemblée des actionnaires, affichées à tous les coins de rue. L’entreprise française est très fière d’annoncer au monde entier qu’elle a pris le virage écologique à temps. C’est en tous cas ce que Patrick Pouyanné et associé.e.s tentent de nous faire croire. On assiste en fait au déchaînement du Greenwashing dans toute sa splendeur. Le Greenwahsing, ou la diffusion à grande échelle d’une publicité mensongère cherchant à « reverdir » l’image d’une entreprise, est surtout une nouvelle manière de berner les consommateur.ice.s.
Comment une entreprise telle que Total, incarnation de nos sociétés pétro-industrielles meurtrières pour les écosystèmes, peut-elle même tenter de se donner une façade écoresponsable ? La multinationale dépense le tiers de son budget alloué à la communication pour « verdir » son image, soit une somme rondelette de 59 millions de dollars.
59 millions de dollars, ça commence à faire cher le mensonge
Nouveau nom (Total est devenu en mai 2021 TotalEnergieS, pour faire oublier que sa principale source de revenus reste l’exploitation des hydrocarbures), nouveau logo, affiches publicitaires placardées partout représentant de jolis champs et de grandes éoliennes… Tout cela a un coût. Et c’est sans compter le prix du lobbying qu’exerce l’entreprise. Pour le seul sujet du climat, TotalEnergies dépense 29 millions de dollars en lobbying, une action de pression exercée par des groupes appelés lobbies qui cherchent à protéger leurs intérêts face aux décisions des pouvoirs publics. Concrètement, cela signifie que Total est partout et se fraye des places de choix dans les cercles de pouvoir pour influencer les décisions.
Car Total fait tout pour étendre son hégémonie, notamment en usant d’un Soft Power1 redoutable. Lorsque l’entreprise ne peut pas s’imposer dans des cercles décisionnels, elle fait intervenir sa fondation. Financement de projets et institutions culturels et scientifiques, mécénat auprès de musées comme celui du Louvre, Total revêt le masque du généreux donateur prêt à tout pour pallier le désengagement étatique et faire vivre la culture. L’entreprise devient de fait un acteur incontournable dans toutes les sphères de la vie politique et publique, même là où on l’attend le moins.
Elle réaffirme également sa présence dans les écoles et sur les campus. Les grandes écoles sont d’ailleurs la nouvelle cible privilégiée du géant pétrolier qui n’a de cesse d’amadouer les futur.e.s prochain.e.s hauts fonctionnaires, chef.fe .s d’entreprise et autres décideur.euse.s pour ancrer toujours plus profondément sa domination sur le monde. Petit à petit, l’emprise Total devient inévitable.
Coordo Dernier Baril
Le géant pétrolier se donne beaucoup de mal pour faire passer la pillule… En même temps, Total en a des choses à cacher.
Quand le Greenwashing s’effrite…
Total s’affirme comme le leader de la transition vers les énergies renouvelables, et se déclare acteur majeur de « l’électricité verte ». Pourtant les annonces de son Plan Climat ne semblent pas à la hauteur des ambitions écologiques déclarées publiquement.
Tout d’abord, l’industrie Total repose presque intégralement sur la production de pétrole. En 2018, l’entreprise a alloué 1,9% de ses investissements totaux à des projets d’énergies renouvelables… Et ne compte pas franchement modifier sa ligne de conduite d’ici les 10 prochaines années. Jusqu’à 2030, 80% des investissements iront aux énergies fossiles. En 2020, Total a produit 1 unité d’énergie renouvelable pour 447 unités d’énergies fossiles. D ‘ici à 2050, on devrait observer un ratio de 1 pour 25 soit… 4% de production d’énergies renouvelables.
Pour Total, le termes d’énergies renouvelables paraît d’ailleurs assez flou. En effet, dans la communication du groupe évoquée plus haut, le gaz fossile dit naturel est associé aux énergies renouvelables, alors même qu’il n’en est pas une. C’est pourtant sur cette énergie que semble s’appuyer une bonne partie des investissements futurs du géant pétrolier. Les prévisions annoncent en effet que les ventes de gaz naturel liquéfié devraient atteindre 50 millions de tonnes par an d’ici 2025. Le nouveau projet de l’entreprise en Arctique, Arctic LNG 2, est la manifestation concrète des ambitions de l’entreprise en matière d’exploitation du gaz naturel qui, on le rappelle en passant, n’est toujours pas une énergie renouvelable.
Par ailleurs, Total affiche dans son Rapport Climat 2020 son ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050 “pour l’ensemble de ses activités, depuis sa production jusqu’à l’utilisation des produits énergétiques vendus à ses clients (scope 1+2+3) » Il faut cependant lire les petites lignes… Total explique ensuite que cette ambition ne concerne que les émissions du marché européen (qui ne représente que 60% de ses émissions mondiales). Notons d’ailleurs que si Total respecte ces prévisions, elle ne ferait en fait que se conformer aux engagements européens. Pour le reste du monde, l’entreprise n’incorpore aux calculs de réduction des émissions que la part induite par sa production (scopes 1 et 2), représentant seulement 10% de ses émissions totales. Le scope 3, c’est-à-dire les émissions produites par l’utilisation de ses produits par ses clients, n’entre absolument pas en ligne de compte alors même que c’est là un enjeu majeur. Le réchauffement climatique n’a pas de frontières, l’hypocrisie des grandes entreprises pétrolières non plus.
Crédit : Coordo Dernier Baril
Et la supercherie ne s’arrête pas là. Pour parvenir à cette neutralité carbone, Total ne prévoit évidemment pas de réduire sa production d’hydrocarbures, rassurez-vous (sic) 2! L’entreprise a trouvé une bien meilleure idée : réduire l’intensité carbone de ses produits. Autrement dit, le géant pétrolier cherche à faire en sorte que les unités d’énergies fossiles produites soient 60% moins émettrices de carbone qu’elles ne le sont actuellement. Pour se faire, l’entreprise met en place des stratégies « compensatoires », comme planter des arbres ou développer des énergies moins émettrices. Un autre projet de Total est de développer des « puits de carbone artificiels» pour « capturer » les émissions de carbone et autres GES. Cette technologie en est encore au stade de prototype et ne sera pas développée efficacement avant 2030. De fait personne n’en connaît l’efficacité ni les effets à long terme. De toute façon, cette méthode ne couvrirait que 4 à 8% de leurs émissions excédentaires.
Finalement, cette logique permettrait à l’entreprise d’abaisser l’intensité carbone des produits et donc leur empreinte carbone moyenne, mais leur empreinte carbone absolue restera la même et risque même d’augmenter, puisque l’entreprise compte produire toujours plus d’hydrocarbures. Patrick Pouyanné estime la production à 50 millions de baril par jour en 2050, alors même que le GIEC en préconise 11 millions par jour au maximum par jour. Même l’Agence Internationale de l’Energie, défenseuse historique des agissements du géant en hydrocarbures, estime que les agissements et les nouveaux projets extractifs de Total sont incompatible avec une limitation du réchauffement climatique à +1,5°. Avec ça, on ne pourra pas nous accuser de partialité.
Total semble n’avoir que faire des enjeux climatiques qui menace notre civilisation. L’entreprise n’a aucun scrupule à suivre une trajectoire climatique nous menant à +4,5° d’ici 2050 au lieu de +1,5° comme le prévoit le GIEC. Et l’explication est encore (et sans surprise) à chercher du côté de ses intérêts financiers dont elle fait une priorité, la poussant à ignorer le sort qu’elle réserve au Vivant. Car les énergies fossiles sont ce qui permet à Total de maintenir son cap économique et notamment sa politique de dividendes. Entre 2009 et 2018, 69 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires. Total fait d’ailleurs partie des entreprises qui ont décidé de maintenir le versement de leurs dividendes durant la crise sanitaire, payant leurs « coupons »3 en avril 2018 pour un total de 1,8 milliard d’euros…Une poussière n’est-ce pas ?
Ces chiffres apparaissent d’autant plus scandaleux que l’entreprise fait tout pour raboter les coûts, notamment lorsqu’elle développe de nouveaux projets, allant jusqu’à piétiner les droits humains pour quelques dollars de moins, et quelques barils de plus.
Crédit Photo : engrainage.media
Folie Extractiviste, Vivant Sacrifié
La soif d’Or Noir de Total est intarissable. Pour l’assouvir, la multinationale n’hésite pas à piller les terres et violer les droits humains, laissant sur son passage des terres exsangues. Les projets du géant pétrolier ont toujours eu d’énormes impacts sur les territoires qu’ils occupent ou traversent. On peut penser aux marées noires telle que celle entraînée par le naufrage de l’Erika le 13 décembre 1999, aux brises-glaces qui desservent les usines de liquéfaction de gaz en Arctique, à la pollution d’écosystèmes fragiles ou encore à l’accaparement des ressources de pays étrangers. Mais Total, c’est aussi des scandales financiers, des désastres humanitaires, le sacrifice du Vivant dans tout ce qu’il a de plus terrifiant et de plus condamnable.
Pour ses nouveaux projets en Ouganda et en Tanzanie, la ligne de conduite de Total est restée inflexible et les horreurs se répètent. Ces projets, Tilenga et EACOP, ont été analysés par Oxfam, Survie, les Amis de la Terre… Tous pointent du doigt les catastrophes écologiques et les violations des droits humains qu’impliquent la mise en place de ces projets. Ils revêtent une dimension titanesque qui témoigne de l’irrationalité destructrice de l’entreprise, n’épargnant évidemment pas le Vivant.
Tilenga est un projet d’exploitation pétrolière en Ouganda, dont une partie du forage est prévu dans l’aire naturelle protégée des Murchinson Falls abritant plus de 500 espèces dont certaines sont menacées. Quitte à massacrer le Vivant, autant y aller à fond ! Quant à EACOP, le projet du plus grand pipeline chauffé du monde, il induirait des conséquences irréversibles sur les écosystèmes des territoires qu’il traverse, dont plusieurs couloirs fauniques ou encore des zones humides. L’écologiste Bill Mc Kibben a d’ailleurs affirmé : « l’itinéraire proposé semble presque dessiné pour mettre en danger le plus grand nombre d’animaux possible ». Rien à ajouter.
Crédit photo : engrainage.media
Les études d’impact de ces projets sur l’environnement sont d’ailleurs largement défaillantes ou partielles, notamment en ce qui concerne la biodiversité et la gestion des déchets dangereux liés à l’extraction. Ces études manquent également de précision et de transparence en matière de risques pour les droits humains. C’est une des accusations sur lesquelles se base la mise en demeure de Total par les Amis de la Terre et Survie, en rappelant que toutes les grandes entreprises ont l’obligation de respecter le « devoir de vigilance ». Les multinationales doivent désormais observer une procédure de gestion continue raisonnable et prudente pour s’assurer de respecter les droits humains.
Or, les deux projets évoqués en Tanzanie et en Ouganda impliquent le déplacement d’au moins 100 000 personnes, sans compter les personnes indirectement touchées par les ambitions de Total dans ces pays. Pour exemple, plus de 400 km du tracé d’EACOP traverseront le lac Victoria, qui est le deuxième plus grand lac d’eau douce du monde, dont des millions de personnes de la région dépendent. Et ce n’est pas la seule manière qu’a trouvé Total de bafouer les droits humains des populations sur place.
Les Amis de la Terre et Survie, dans leur instructif dossier « Un Cauchemar nommé Total », partagent le fruit de leur enquête sur place, auprès des populations expropriées car résidant sur les territoires concernés par ces futurs projets. Ils affirment que plusieurs droits humains fondamentaux sont violés par l’entreprise française et ses sous-traitants chargés des dédommagements et des relogements. De fait, on ne trouve sur place qu’un imbroglio de filiales qui floutent les rapports de force qui se jouent et qui offrent surtout au véritable responsable, TotalEnergies, bien des opportunités de pouvoir se dédouaner de cette mauvaise gestion.
En effet, les lois françaises comme ougandaises (mais aussi la moral et l’empathie humaine pour autrui) exigent transparence, consentement éclairé et dédommagement à hauteur des pertes en matière d’expropriation et déplacement. Des engagement que TotalEnergies et sa filiale ougandaise clament respecter avec attention. La réalité paraît bien loin des beaux discours. Bon nombre des foyers ayant perdu leur terrain n’ont pas été dédommagés. Les évaluations sont volontairement critiques pour faire baisser le montant des indemnités, et les agents qui en sont chargés restent le plus évasifs possibles concernant les dates d’échéance des rachats, laissant les propriétaires dans l’incertitude. Total interdit également aux propriétaires des terrains potentiellement rachetés par l’entreprise de semer des plantations pérennes, ce qui est interdit et précarise les foyers qui ne jouissent alors plus d’une sécurité alimentaire satisfaisante. Les foyers précaires privés de leur principale source de revenus, la terre, et n’ayant pas touché de dédommagements convenables, risquent la famine et ne parviennent parfois même plus à envoyer leurs enfants à l’école.
De plus, l’enquête révèle que certains propriétaires approchés par l’entreprise ont été intimidés et largement « encouragés » (sic) à vendre leurs terres. Pour rappel, l’Ouganda est un pays sous régime autoritaire ou la liberté de la presse et la liberté d’expression sont remises en question. L’Etat ougandais a notamment fait subir des pressions aux leaders des communautés locales, usant de menaces par exemple. L’Etat français a également son rôle à jouer dans cette affaire. D’abord à travers les diverses coopérations des armées françaises et ougandaises, ces dernières ayant bénéficié de formations dispensées par la France. La diplomatie française en Ouganda a plusieurs fois fait les éloges de TotalEnergies, contribuant à donner une bonne image de l’entreprise et nourrissant le Greenwashing qu’elle diffuse. Le gouvernement français a déjà déclaré son soutien au projet meurtrier de l’entreprise sur place, projet qui bénéficie d’ailleurs de subventions publiques. Le géant pétrolier peut dormir sur ses deux oreilles, le gouvernement français veille à la bonne réalisation de ses ambitions, et préfère fermer les yeux sur l’ampleur du désastre.
Crédit photo : engrainage.media
Tant que Total continuera de sacrifier le Vivant sur le saint autel du capitalisme, transformant les richesses du sol en billets verts, nous nous battrons. Tant que les grandes banques nationales ne cesseront pas leurs investissements dans les hydrocarbures, finançant la 6ème extinction de masse, le meurtre conscient de milliers d’espèces, pour quelques billets de plus, nous les dénoncerons. Tant que l’Etat français continuera de soutenir la barbarie et la violence, oubliant ses grandes ambitions de défenseur de l’environnement et des droits de l’homme, nous résisterons. Tant que la biodiversité ne sera pas reconnue pour elle-même mais comme ressource à exploiter, que les écosystèmes seront considérés comme des terres à conquérir, nous nous rebellerons.
Pour que ce baril soit le dernier,rejoignez la campagne d’action « Le Dernier Baril », dont les prochaines actions se dérouleront le 20 novembre et le 17 décembre.
Bibliographie :
- Plan Climat TotalEnergies (Mai 2021)
- Un Cauchemar Nommé Total (Survie et Les Amis de la Terre)
- Total Fait du Sale : La Finance complice (Reclaim Finance et Greenpeace)
- Total passe au décodeur d’Oxfam (Oxfam)
- Mettre fin à l’emprise Total (série de vidéos Greenpeace)
- Total premier pollueur de France : l’enquête de Reporterre (Série de 5 articles de Reporterre)
- L’État français fait le jeu de Total en Ouganda (Survie, les Amis de la Terre, l’Observatoire des Multinationales)
1Désigne la capacité d’influence et de persuasion d’un Etat, d’une société multinationale,d’un groupe minoritaire auprès d’autres acteurs pour les conduire à penser de la même manière
2Marque d’ironie
3Autre terme pour désigner les dividendes