Pandémies et catastrophes éco-climatiques
épisode 2/4 : Propagation et aggravation des épidémies
Pourquoi le COVID-19 s’est-il si vite propagé ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi à circonscrire la maladie en Chine ?
Une partie des réponses à ces questions provient du virus lui-même, qui est à la fois très contagieux et capable de générer de nombreux cas véhiculant le virus sans le savoir. Néanmoins, cela ne suffit pas à faire passer le virus de pays en pays puis de continent en continent aussi rapidement.
Nous allons voir ici, à travers différents exemples, que la mondialisation, la pollution et nos modes de vie de plus en plus sédentaires ont favorisé non seulement la transmission des maladies entre humains, permettant ainsi le passage d’une épidémie vers une pandémie, mais aussi la fragilisation de nos organismes, entraînant un nombre important de cas graves.
1 | L’impact de la mondialisation
Les mouvements de population engendrés par la mondialisation forment un vecteur important de diffusion des épidémies. On distingue trois grands types de mouvements de population : les réfugiés, les migrations “de long terme” (souvent pour des raisons économiques), et les voyages à court terme (pour les loisirs ou le travail).
Les camps de réfugiés ont toujours été un cadre propice à la diffusion des épidémies, par manque récurrent d’accès à de l’eau propre, de la nourriture et des soins. Par exemple en 1994, presque 1 million de personnes ont fui le Rwanda en direction du Zaïre. Et environ 50 000 sont morts en un mois, à cause d’épidémies de choléra et de dysenterie dans les camps (24).
Les migrations de long terme mettent en contact des populations originaires de milieux différents, et qui peuvent être plus ou moins sensibles à certains pathogènes. L’exemple le plus frappant est probablement la mort de la moitié des populations indigènes d’Amérique lors de l’arrivée des colons européens. Plus récemment, dans le sud du Soudan, le retour chez eux de migrants ayant voyagé dans une zone endémique de la Leishmaniose a conduit à une épidémie entraînant la mort de 100 000 personnes sur une population de moins de 1 million d’habitants.
Les migrations vers les pays développés conduisent plus rarement à des épidémies, en raison d’un meilleur système de santé, mais sont régulièrement à l’origine de cas importés de maladies peu présentes. Ceci est aggravé par des conditions matérielles souvent précaires à l’arrivée. Les exemples les plus courants sont les hépatites B et C, des tuberculoses antibio-résistantes ou le paludisme (24).
Enfin, concernant les voyages à court terme, sachant que la plupart des maladies infectieuses ont une période d’incubation de plus de 36 h et étant donnée la vitesse actuelle des moyens de transport, on comprend bien qu’aucune partie du monde n’est à l’abri d’une épidémie importée. Ce danger est exacerbé par la massification du tourisme à l’étranger. Les cas les plus médiatiques concernent les maladies rares ou dites “exotiques” telles que Ebola, le SRAS ou la fièvre jaune. Les moyens de transport eux-mêmes peuvent aussi être des sources de contamination : il a été montré que des épidémies de tuberculose, de grippes ou de choléra ont été disséminées par avion, tandis que les bateaux de croisière ont été associés à des épidémies de Légionellose (24). La pandémie actuelle est un exemple criant: Serge Morand, écologue et biologiste de l’évolution, souligne que “il était totalement improbable qu’un virus qui était encore en novembre tranquillement dans une population de chauves-souris quelque part en Asie se retrouve quatre mois plus tard dans les populations humaines sur toute la planète” (6).
Serge Guérin, sociologue, à propos du SARS-CoV-2, nous rappelle que “La vitesse et l’étendue vertigineuses de sa propagation résultent de la quasi instantanéité des échanges humains, de l’étourdissante mobilité humaine, de l’extrême densité humaine. Ce n’est pas le virus qui se déplace : ce sont les humains qui le déplacent, ce sont l’économie mondialisée et le culte de l’immédiateté qui le déplacent. Nous allons faire l’expérience que le ralentissement drastique du “temps physique” et l’imperméabilité des échanges humains, liés au confinement, sont le seul moyen d’endiguer la pandémie” (25).
2 | L’impact de la pollution de l’air
Outre une diffusion des virus incontrôlable, les avions participent aussi à la dégradation de la qualité de l’air (26). Or pour Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’Inserm et responsable de l’équipe épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires, “le fait que les premiers foyers épidémiques aient été situés en Chine, en Iran et en Italie du Nord, des zones très polluées, n’est pas un hasard” (27).
Plusieurs études ont en effet montré un lien statistique entre le taux de pollution de l’air (provenant des rejets d’usine, des moyens de transport, etc.) et le nombre de cas de différentes maladies virales touchant les voies respiratoires (27).
Une explication déjà bien connue est que l’exposition des humains à la pollution les rend plus vulnérables aux infections virales à la fois en favorisant l’installation du virus dans les voies respiratoires mais aussi en en aggravant les symptômes. Les différents composants de la pollution (dioxyde d’azote, ozone, particules fines…) induisent une fragilité respiratoire en agissant sur les différents acteurs (cellules, protéines, etc.) responsables de l’inflammation et de la réponse immunitaire (28).
De plus, on sait que la pollution aggrave certaines maladies respiratoires et cardiovasculaires chroniques comme l’asthme, l’hypertension artérielle ou encore la bronchite chronique (29, 30). En Europe, près de 800 000 décès par an peuvent être attribués à la pollution de l’air (30). Or, les patients souffrant de pathologies cardio-vasculaires et respiratoires chroniques font partie des patients considérés comme les plus à risque de développer une forme grave du COVID-19 selon le Haut conseil de santé publique (31). Ce sont d’ailleurs ces mêmes patients qui sont les plus fragiles concernant de nombreuses autres infections respiratoires comme la grippe saisonnière par exemple.
Une seconde explication, encore peu explorée mais parfois évoquée dans les médias, serait le transport de certains virus par les particules fines. Une équipe de chercheurs italiens de l’université de Bologne étudie actuellement cette possibilité concernant le SARS-CoV-2 (32) mais il n’y a, pour le moment, aucune donnée publiée montrant directement la présence du virus dans les particules fines.
3 | L’impact de notre alimentation et de la sédentarité
Les mauvaises habitudes alimentaires et la sédentarité ont favorisé l’augmentation de certaines maladies comme l’obésité et le diabète de type 2. “Contrairement aux idées reçues, le diabète n’est pas l’apanage des pays développés. Sa progression est fulgurante dans les pays en voie de développement et notamment en Afrique” (33). Au niveau mondial, on a constaté une augmentation de la consommation d’aliments très caloriques, de plats industriels, une augmentation de la taille des portions (en raison d’une disponibilité alimentaire importante et de l’évolution des prix liés à notre société de consommation), mais aussi une baisse de l’activité physique en raison de la nature de plus en plus sédentaire de nombreuses formes de travail, de l’évolution des modes de transport et de l’urbanisation croissante.
Selon l’OMS, le nombre de cas d’obésité a triplé depuis 1975. En 2016, plus de 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids (indice de masse corporelle > 25) et plus de 650 millions étaient obèses (34).
En 2019, le diabète affecte plus de 463 millions de personnes dans le monde, dont 59 millions en Europe ce qui représente aussi 1 personne sur 10 en France (35).
L’obésité et le diabète de type 2 sont des maladies multifactorielles principalement liées au mode de vie (alimentation trop grasse, trop sucrée et sédentarité) et sont extrêmement liées puisque, d’après l’OMS, 44 % des diabètes de type 2 sont imputable à un surpoids ou une obésité (34).
D’une manière générale, les patients atteints de diabète de type 2 comme les patients obèses sont plus susceptibles d’être hospitalisés pour infection et de présenter des complications mortelles que la population générale.
Dans une étude chinoise ayant étudié 72 314 patients suspectés d’être atteints par le COVID-19, 7,3 % présentaient un diabète contre 2,3 % dans la population générale (36).
De même, au Royaume-Uni, 72 % des patients en soins intensifs sont en surpoids ou obèses selon un rapport de l’Intensive Care National Audit and Research Centre de Londres.
Bien qu’il n’y ait pas encore d’étude sur le rôle de ces deux maladies dans le cas précis du SARS-CoV-2, des hypothèses ont été émises, en se basant sur ce que l’on sait déjà à propos d’autres maladies infectieuses.
Tout d’abord, la survenue d’une infection chez un patient diabétique constitue un facteur susceptible de déréguler son diabète et donc d’induire des complications liées au diabète lui-même (hypoglycémie ou hyperglycémie) pouvant aller jusqu’au décès (36).
Le diabète de type 2 comme l’obésité entraînent une dérégulation du système immunitaire avec notamment une diminution du nombre de cellules natural killer (type de globule blanc) (36).
Concernant l’obésité, Frédéric Altar, immunologiste à l’Inserm de Nantes, nous explique dans une interview parue dans le journal Science et avenir que « lorsque nos cellules destinées à stocker les graisses - les adipocytes - se trouvent surchargées en gras, on a remarqué que des cellules du système immunitaire comme les macrophages pro-inflammatoires et les lymphocytes étaient attirées en grand nombre». L’inflammation est une réponse normale de l’organisme à une infection et est donc bénéfique dans certaines situations, mais chez les patients obèses, cette inflammation est présente de façon constante et cela aggrave les symptômes de certaines maladies.
En parlant des patients obèses présentant le COVID-19, Frédéric Altar nous dit : « Ces patients qui ont déjà des capacités respiratoires affaiblies s’autodétruisent avec leurs propres lymphocytes [cellules du système immunitaire]. Rien que ce phénomène pourrait justifier les cas les plus sévères. […] On constate chaque année le même genre de complications avec la grippe » (37).
Enfin, il a été démontré que d’autres cellules impliquées dans l’immunité (cellules dendritiques notamment) voient leur activité réduite par l’obésité sévère, diminuant ainsi les capacités de ces patients à lutter contre certains virus (37).
Conclusion
Nous vivons dans une société mondialisée, urbanisée avec une connectivité extrême entre les différentes zones géographiques permettant aux êtres humains de se déplacer rapidement et facilement. Le revers de la médaille a été un passage fulgurant d’une épidémie localisée en Chine à une pandémie avec confinement des pays les uns après les autres. Les populations à risque, fragilisées par la pollution et les maladies cardiovasculaires liées en partie à nos modes de vie sédentaires et à notre alimentation, ont été frappées par des formes sévères, voire mortelles, de la maladie.
Si nous ne réagissons pas, la situation risque d’empirer et nous risquons de voir apparaître de plus en plus d’épidémies. Pourquoi ? Car la crise bioclimatique pourrait être à l’origine de l’émergence de nouvelles maladies.
Suite au prochain épisode…
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Article rédigé par le groupe Recherche et Systémique XR France
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[6] Interview de Serge Morand, Écologue de la santé, directeur de recherche au CNRS et au Cirad
[24] Rapport de l’OMS de 2004 sur les maladies infectieuses et la mondialisation
[25] Interview du sociologue Serge Guerin à propos du SARS-CoV-2
[26] Marginal climate and air quality costs of aviation emissions, Gobler et al., Environnement Research Letters14 (2019) 114031
[27] Interview d’Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’INSERM sur le lien entre le SARS-CoV-2 et la pollution de l’air
[28] Revue de la litterature scientifique sur le lien entre pollution et infections virales respiratoires, publiée en 2007 dans Inhalation toxicology
[29] Revue de la littérature scientifique sur les effets du changement climatique et de la pollution sur la santé
[30] Étude épidémiologique parue dans The Lancet en 2019 évaluant la mortalité liée à la pollution de l’air en Europe.
[31] Recommandations du haut conseil de santé publique concernant les patients les plus fragiles pour le COVID-19
[32] http://www.simaonlus.it/wpsima/wp-content/uploads/2020/03/COVID_19_position-paper_ENG.pdf
[33] https://www.federationdesdiabetiques.org/information/diabete
[34] Pages OMS sur l’obésité et le diabète
[35] Atlas 2019 de l’International Diabetes Federation
[36] Article paru en Mars 2020 dans diabète et obésité sur le lien entre le diabète et le COVID-19
[37] Article de sciences et avenir sur l’obésité et le COVID-19