Grandeur et décadence du striatum

Dans le premier épisode, tu as appris que tu étais à peine plus raisonnable qu’un pangolin, réagissant la plupart du temps de manière pavlovienne à des stimuli basiques. Et cela t’a quelque peu heurté dans ton amour-propre, car dans ta vision de toi-même tu te pensais quand même plus proche de Léonard de Vinci ou Marie Curie que d’une digne mais fruste bestiole à écailles. Du coup, tu es allé.e ouvrir le placard à gâteaux.

Enfin quand même… Notre cerveau n’est-il pas l’objet le plus complexe de la Création ? Comment peut-il donc s’abaisser à des fonctionnements si primaires ?

Le neurobiologiste Sébastien Bohler, dans son ouvrage Le bug humain (2019), réaffirme que l’humanité est en train d’échouer. Notre cerveau, qui a permis tant de merveilleuses réalisations, ne semble pas adapté au défi actuel, celui de gérer des ressources limitées.

« Ce cerveau a une face sombre. Un principe destructeur qui a fait son succès contre les prédateurs pendant des millions d’années, mais qui menace à présent de le tuer, lui et ses huit milliards de semblables. Plus il réussit, plus il se rapproche de sa propre perte. Il a signé un pacte avec le diable, il y a fort longtemps. Ce pacte lui promettait la puissance, la domination et la maîtrise de la nature dans un premier temps, mais la ruine et la destruction dans un second. Il a réalisé la première partie de ce contrat. Aujourd’hui, il est temps de payer sa dette. »

Pourquoi cela ? Nous abritons tout au fond de notre cerveau primitif une petite zone appelée « striatum ». Le rôle de cette zone est de nous donner du plaisir en réponse à certains stimuli. Ou plus précisément, un shoot de dopamine.

Concrètement ? Ta sensation de bien-être après un bon repas : dopamine. Ta bonne humeur et ta légèreté à l’annonce de une promotion professionnelle longtemps désirée : double ration de dopamine. Les hurlements de joie des lycéen.nes en apprenant qu’iels ont leur bac : un tsunami de dopamine.

En quoi une zone productrice de plaisir pourrait-elle donc être mauvaise ? Tout simplement parce qu’elle n’est pas prévue pour se limiter. Elle va produire de la dopamine à chaque fois, tant que le stimulus est présent, peu importent les conséquences.

Pendant la plus grande partie de la présence humaine sur Terre — où ce qui prévalait c’était le manque de ressources — ce fonctionnement était bienvenu voire nécessaire. La proie tuée dans la savane devait être dévorée jusqu’à la nausée, car qui sait quand la prochaine proie allait être capturée ? Il était alors bien utile que le striatum envoie sa dose de plaisir tout au long du festin, et ce tant qu’il restait encore à manger sur la carcasse.

Et maintenant ?Le striatum n’a pas changé… mais la quantité de nourriture n’est plus limitante pour la majorité de l’humanité. Eh bien alors, allons-y, on mange sans se limiter, poussé.es par notre addiction à la dopamine que cela procure, comme des toxicomanes. Résultat : aujourd’hui on meurt plus d’obésité que de malnutrition.

Les principales activités auxquelles notre striatum nous rend accro sont :

  • Manger, donc
  • Se reproduire Le trafic internet, c’est maintenant plus de CO2 que l’avion. Et 35 % du trafic internet, c’est la pornographie…
  • Acquérir du statut social Probablement le plus addictif et puissant de tous les stimuli pour le striatum. Plus de 2 milliards de personnes sont sur les réseaux sociaux. Un 👍 et hop, petite sécrétion de dopamine. Et je veux une plus grosse voiture que ma.mon voisin.e pour envoyer à mon striatum le message que je suis plus haut.e qu’elui sur l’échelle sociale et exiger ma dose de dopamine en voyant sa tête à mon retour de chez le concessionnaire.
  • Étendre notre territoire Au sens propre ou figuré. Aaah… quel plaisir de déménager pour plus plus grand… ou d’étendre le périmètre de son influence.
  • S’imposer face aux autres Vous la sentez cette petite sensation « animale » de plaisir quand vous avez le dernier mot dans une discussion, ou quand vous passez devant ce gros SUV en redémarrant au feu rouge ? Ou cette petite frustration dans le cas inverse ? Toujours le robinet à dopamine, dans un sens ou dans l’autre.

Bref, la bouffe, le sexe, l’argent et le pouvoir.

Bon, vous me direz, et alors quoi ? Sommes-nous condamné.es à brûler la chandelle par les deux bouts (et même celle des autres dès qu’on le peut) jusqu’à ce que les ténèbres nous envahissent toustes ?

Peut-être pas. Sans même mentionner les figures historiques nombreuses, nous connaissons toustes des personnes particulièrement bonnes et altruistes, qui semblent déroger à la manière de fonctionner habituelle. Elles ne développent pas, ou moins que les autres, ces petits réflexes d’intérêt personnel.

Ces gens-là sont-iels de grand.es frustré.es ? Non, bien sûr. Iels trouvent leur source de satisfaction (leur dose de dopamine) ailleurs. De par leur altruisme même, en fait. Car donner, en soi, génère aussi de la dopamine !

Observez vos enfants.

Bébés, ils savent agripper, mais pas lâcher. Ils prennent plaisir à prendre, à s’approprier. Leur striatum est probablement à l’œuvre. C’est parfois l’argument de celleux qui défendent le droit de propriété comme s’il découlait fondamentalement d’un substrat biologique : « vous voyez bien, les enfants dès leur plus jeune âge ont l’instinct de propriété ! » Ce qui justifie probablement à leurs yeux que des gens dorment dehors pendant que des locaux inoccupés le restent bien « sagement ».

Sauf que les enfants grandissent. Et iels apprennent presque aussitôt à partager. Ma fille de 13 mois, au cours de son repas, nous tend gentiment sa main pleine de miettes de biscottes, pour nous nourrir à son tour ! Le cerveau pourrait donc être habitué, par l’éducation, à se procurer sa dopamine par d’autres stimulations que celles qui scient la branche sur laquelle il est assis.

Une autre voie pour modifier l’influence de notre striatum est celle de la méditation, qui procure une plus grande présence et une plus grande satisfaction avec moins de stimuli. Neurologiquement parlant, mesures à l’appui, les moines et nonnes bouddhistes, bien que végétalien.nes, abstinent.es et dénué.es de tout pouvoir temporel, décrochent le cocotier en termes de bonheur.

Après ce détour à travers les replis les plus secrets de ta matière grise, si tu rêves d’en savoir plus sur les systèmes rapide et lent, si tu brûles de connaître les facteurs influençant ce système rapide si prépondérant, et les biais qui l’affectent, ou si tout simplement tu t’ennuies un peu chez ta tatie berrichonne, alors rendez-vous dans quelques jours, pour l’épisode 3 :

« Je ne suis quand même pas si manipulable » dit-il en se servant un Coca et en rallumant CNews.