Mardi 22 octobre après-midi et Mercredi 23 octobre matin, au tribunal judiciaire de Paris, 11 militant·es d’Extinction Rebellion, accusé·es de dégradation de biens après une action de désobéissance civile au Mondial de l’Automobile en 2022 étaient là, face à la justice.
La parole des prévenu·es : colère, espoir et appel à la justice
Dans la salle d’audience, les voix des prévenu·es résonnent avec force. Face à un système judiciaire qui semble ignorer les urgences environnementales, trois militant·es prennent la parole pour défendre leurs motivations.
L’une d’entre elles déclare : « J’aime la vie. J’ai grandi entourée de nature, mais aujourd’hui, je suis triste de voir cette profusion de vie se détériorer. » Elle poursuit, la voix brisée par l’injustice qu’elle ressent : « La planète va mal. La température de la Terre a déjà augmenté de 1,4°C et rien ne semble changer. Je suis en colère de voir des politiques continuer à nourrir cette machine destructrice. » Et de citer les évidentes contradictions : « Je suis dégoûtée du greenwashing qui envahit nos écrans et nos rues. Ces soi-disant solutions ‘vertes’ qui ne sont qu’une façade pour continuer à polluer, à exploiter les plus vulnérables. » Elle termine sur une note d’espoir : « Mais je refuse que la peur me paralyse. J’ai l’espoir que la transition soit possible, et pour cela, je lutte. »
Un autre prévenu déclare : « Nous sommes là aujourd’hui parce que nous voulons dénoncer la voiture, cet objet qui incarne l’injustice sociale et écologique. Les plus vulnérables, celles et ceux qui ont contribué le moins au dérèglement climatique, sont les premier·es à en subir les conséquences. ».
Tous les prévenu·es affirment leur engagement avec une force commune : « Nous avons collé nos mains sur ces voitures pour dénoncer ce modèle écocidaire. Nous avons fait ce geste pacifique, mais nécessaire, pour rappeler au monde que la Terre brûle, que l’air est irrespirable et que l’injustice se cache derrière ces symboles de consommation. »
À travers ces témoignages, un message fort s’impose : *il est plus que temps d’agir*. Le silence de l’État face à l’urgence climatique, la persistance d’un modèle de développement destructeur, et la destruction de la biodiversité, ne peuvent plus être tolérés. Et c’est en s’exposant à la justice, en affrontant les conséquences de leurs actes, que ces militant·es espèrent bien réveiller une conscience collective endormie par la propagande de la croissance infinie.
Audition des témoins : Un appel à l’action immédiate
La parole a été donnée à deux témoins, qui, chacun·e à leur manière, apportent une lumière sur les dangers sanitaires, environnementaux et sociaux liés à notre modèle de transport actuel.
Une médecin généraliste et membre de l’Alliance Santé Planétaire a témoigné en tant que scientifique et professionnelle de la santé. Son expertise met en évidence les liens indéniables entre l’utilisation généralisée de la voiture individuelle et l’augmentation de maladies chroniques telles que le diabète, les cancers ou les pathologies cardiovasculaires. Elle a rappelé qu’en 2019, la pollution de l’air due au trafic routier a été responsable de 67 000 décès prématurés en France, plus que le tabagisme. Les enfants, les plus vulnérables face à la pollution de l’air, en sont les premières victimes, avec des études montrant que 15 à 30 % des cas d’asthme sont liés à l’exposition au trafic. Elle a aussi insisté sur l’impact de la pollution sonore, un facteur trop souvent ignoré, qui cause chaque année 12 000 décès prématurés en Europe. Ces chiffres sont une claque : la voiture tue, elle pollue, et elle fragilise notre santé et celle de nos enfants.
Un chercheur sur la transition énergétique des transports a pris la parole pour rappeler que les voitures représentent 18 % des émissions de gaz à effet de serre en France. En dépit des avancées technologiques, il avertit que le passage à la voiture électrique ne suffira pas. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il faut réduire la dépendance à l’automobile en réorientant les politiques publiques vers des solutions de mobilité partagée, de transports en commun de qualité, et de sobriété énergétique. Le secteur automobile doit abandonner ses SUV et se concentrer sur des véhicules plus sobres. L’explosion des ventes de ces 4x4 urbains, toujours plus gros et énergivores, fait reculer nos efforts en matière de transition écologique.
Les témoignages soulignent une urgence criante : la voiture, quel que soit son modèle, est un poison pour la santé publique et pour notre avenir climatique. Les chiffres sont là, les données scientifiques sont irréfutables. Il est grand temps d’agir, de réduire notre dépendance à l’automobile et de réorienter nos investissements vers des modes de transport durables et collectifs.
Les questions du procureur semblaient pourtant en faveur de la déclaration d’un état de nécessité
Est-ce que vous diriez que le danger du changement climatique est actuel.
Extrait d'un échange avec le procureur
Le procureur : Est-ce que vous diriez que le danger du changement climatique est actuel ?
Le témoin : Oui.
Le procureur : Est-ce que le changement climatique est imminent ?
Le témoin : Il est déjà actuel… Donc il est plus qu’imminent…
Le procureur : Quels seraient les remèdes nécessaires ?
Le témoin : Il faudrait réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux effets du changement climatique.
Le procureur : L’action menée par Extinction Rebellion ce jour-là était-elle nécessaire ?
Le témoin : Je ne suis personne pour dire si c’était nécessaire. Quel mode d’action est adapté ? Mais les actions politiques actuelles ne répondent pas à la nécessité du changement climatique en tout cas. Alors qu’il y a une obligation d’action dans la loi.
Le procureur : Est-ce que cette action vous semble disproportionnée ?
Le témoin : Non ce n’est pas disproportionné au vu des dangers encourus.
L’avocat de la défense A.B. : Vous pensez qu’il faut donc quand-même privilégier les véhicules électriques ?
Le témoin : Oui, et aller plus vers une sobriété énergétique globale. Moins de gros véhicules pour moins d’impact environnemental.
L’avocat de la défense A.B. : Pas des SUV donc ?
Le témoin : En effet, les SUV sont peu adaptés à ces enjeux.
L’avocat de la défense A.B. : Vous avez parlé de la consommation des ressources néfastes pour l’environnement. Vous avez évoqué le besoin de véhicules plus sobres en consommation. Du besoin d’électrification. Quand vous parlez de véhicules sobres, est-ce que ce sont les véhicules promus par le Mondial de l’auto ? Est-ce que le Mondial de l’auto vous semble à la hauteur ?
Le témoin : Non. Le problème est qu’ils ne parlent que de l’électrique. Dans ce qu’il promeut, il ne va pas globalement dans ce sens de partage des véhicules et de sobriété énergétique. Il promeut l’automobile individuelle et les gros véhicules, même s’il y a aussi quelques modèles sobres dans leur salon. Ils ne passent pas le message de réduire les usages.
Une partie civile qui défend la rentabilité avant la vie
Ironie du sort, le propriétaire des véhicules n’a pas souhaité porter plainte contre nous. L’avocate de la partie civile représentait donc Hopscotch, la société notamment en charge de…la moquette ! L’avocate s’épanche sur les coûts des réparations des véhicules de luxe dégradés (alors même que ces Ferrari ne lui appartiennent pas) et d’un geste commercial versé au propriétaire des voitures.
”La couleur de la peinture n’existant plus dans le catalogue de Ferrari, la peinture totale pour chaque carrosserie coûterait selon les experts 26 000€ par véhicule, soit 78 000€ au total pour les trois véhicules dégradés. Hopscotch a accepté de débourser 6 000€ par geste commercial, mais le montant n’a rien à voir avec la valeur dégradée.” clamait l’avocate. Il est difficile de ne pas sourire – ou de pleurer – face à l’argumentation de l’avocate de la partie civile. Pour elle, l’important n’est pas l’urgence climatique, ni l’épuisement des ressources, mais bien les 26 000€ nécessaires pour repeindre des voitures de luxe ou les 27 928€ dépensés pour changer une moquette qui aurait pu être nettoyée à l’eau. La comparaison est d’une absurdité totale : la société Hopscotch pleure sur la dégradation de biens matériels, avec la même intensité que si l’on venait de vandaliser un symbole sacré de la réussite économique. Sérieusement ? Les militant·es, eux, n’ont pas défiguré des Ferrari pour le plaisir, mais pour dénoncer un système qui met en avant des voitures chères comme des symboles d’un monde en train de s’effondrer. Et ces dégâts, qui finalement ne représentent qu’une infime fraction des milliards que coûtent chaque année les catastrophes climatiques, sont comparés à des dommages importants, comme si la destruction de ces biens était plus grave que l’avenir de la planète elle-même.
Activistes condamnés, une nouvelle tentative de faire taire la rébellion
Le verdict du procès du Mondial de l’Auto tombe, et malgré l’apparente complicité ressentie avec le juge et le procureur : il est loin de nous rendre justice.
Aucune condamnation pour les 6 militant·es qui ne se sont pas glué.es. En revanche, les 5 autres militant.es sont condamné.es à :
- une contravention de 400€/personne
- une participation aux frais d’avocat de la partie civile à hauteur de 200€/personne
- une indemnisation de la partie civile de 9000€ pour préjudice matériel + 200€ pour préjudice d’image.
La répression est à la hauteur de l’injustice : on punit celles et ceux qui luttent pour un avenir viable, pendant que l’industrie automobile continue de prospérer.
Nous ne lâcherons rien.